La persévérance est la noblesse de l'obstination | Aileen & Borys

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ileen n'était pas vraiment de bonne humeur... Elle avait appris à conserver un sourire de façade en toute circonstance, mais c'était parfois plus difficile qu'à d'autres moments. En l'occurrence, elle était lasse de jouer les charmantes poupées malléables au sourire charmeur. Sa journée de travail avait été sérieusement éprouvante, et elle avait dû endurer des comportements qui faisaient certes partie de son quotidien et qui restaient tolérables à petite dose, mais qui devenaient franchement insupportables au bout du compte. Elle était fatiguée, assez agacée, et elle n'avait aucune envie de rentrer chez elle. Chez elle, elle savait ce qu'il attendait : le mépris de son père et les remarques déplaisantes de son frère. Autant retarder le moment de les affronter...

Où se rendre, alors ? Aileen choisit de jeter son dévolu sur un bar du coin, évidemment réservé aux sorciers. Elle commanda un verre d'hydromel et s'installa à une table à l'écart. Pour la peine, et contrairement à ce que pouvaient parfois être ses habitudes, elle n'avait même pas cherché à se faire offrir son verre. Ce n'était généralement pas si difficile pour elle de parvenir à ses fins dans ce contexte... mais elle n'avait pas envie de faire cet effort. En fait, pour une fois, elle préfèrerait tant qu'à faire ne pas se faire remarquer.. Chose pas si simple... Dans un premier temps, alors qu'elle jetait son regard par la fenêtre la plus proche, qui donnait sur la rue, elle pensait s'en sortir plutôt bien, et elle laissait ses pensées s'égarer sans destination particulière, tout en dégustant, sirotant doucement son verre d'alcool, dont elle appréciait chaque gorgée. Après une journée fatigante, c'était une bonne façon de se détendre, en effet. Mais ça ne devait pas durer, évidemment.

Quand elle vit Borys s'approcher et s'installer, l'air de rien, à sa table, Aileen serra les dents. Elle le détestait, profondément. Fallait-il vraiment qu'elle se coltine sa présence, ici et maintenant ? Comme si elle ne se l'imposait pas assez au quotidien... De toute évidence oui, puisque l'homme semblait bien décidé à lui faire la conversation, que cela lui plaise ou pas. Et il la connaissait assez, à force de se faire éconduire, pour savoir que sa présence n'était jamais une partie de plaisir pour elle et qu'elle se l'épargnerait bien.

-C'était l'idée... avant que tu ne t'installes à cette table, répondit Aileen en daignant poser son regard sur son interlocuteur.

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orys, loin de s'offusquer ou de s'agacer, sembla plutôt s'amuser de sa remarque cinglante, puisqu'il y répondit avec le sourire, tout en se commandant un verre. Ce comportement même l'exaspérait, mais elle ne pouvait pas dire qu'il était inattendu. A force, la jeune femme savait très bien que son interlocuteur ne se laissait pas rembarrer si facilement. Il avait conscience de ne pas être le bienvenu, et pour autant, il s'invitait malgré tout, sans gêne. C'était un tempérament qui aurait peut-être pu lui plaire, puisqu'il ressemblait au sien, au fond, mais ce n'était pas le cas.

Plus le temps passait, moins Aileen savait faire preuve de tolérance face au comportement de son interlocuteur. Malheureusement, elle n'avait pas les cartes en mains, de toute évidence, et l'homme ferait comme bon lui semblerait, même si cela devait déplaire à la demi-vélane. Elle leva les yeux au ciel quand il lui demanda pourquoi elle se montrait si dure avec lui. Comme s'il ne le savait pas pertinemment. Pour lui, elle en était convaincue, c'était juste une manière comme une autre d'engager la conversation, et Aileen n'avait d'autre choix que de s'y plier, de le supporter, du moins dans la mesure du possible. C'était une guerre des nerfs qui allait s'engager, car Aileen et sa fichue fierté voudrait ne pas laisser le dernier mot à son interlocuteur, ce qui était évidemment stupide. Et dire que ce n'étaient que les premiers, de mots. Cette conversation allait sûrement être longue. Et particulièrement irritante pour la jeune femme.

-Parce que je te trouve ni intéressant, ni attirant, parce que ton insistance à vouloir m'entraîner dans ton lit me dégout, et parce que je m'en voudrais de ménager ton petit coeur fragile, pour peu que tu en aies véritablement un, déblatéra-t-elle donc d'une traite.

Elle ne mâchait pas ses mots, et elle devrait peut-être faire plus d'efforts, puisque, après tout, dans la hierarchie (en tout cas la hierarchie typique du cirque Arcanus), Borys était définitivement au-dessus d'elle. Mais il n'était pas question pour elle de lui lécher les bottes ou quoi que ce soit d'autre dans l'unique but de se faire bien voir, ce serait très mal lui ressembler. La jeune femme n'avait pas sa langue dans sa poche, et en l'occurrence, elle ne verrait aucune forme d'intérêt à prétendre apprécier les avances de cet homme, alors qu'il l'insupportait.

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ileen avait sa fierté, évidemment qu'elle n'appréciait pas de se faire rire au nez, d'un autre côté, elle n'avait pas envie de se laisser heurter par l'opinion que cet homme avait d'elle. Elle était à peu près convaincu qu'il avait la même de toutes les femmes de toute manière, aussi prit-elle sur elle pour demeurer aussi inexpressive que possible, laissant son interlocuteur se marrer. Il pouvait bien dire ce qu'il voulait, elle préférait prendre sa réaction pour celle d'un homme blessé dans son orgueil de mâle parce qu'il ne parvenait pas à ses fins lubriques plutôt que de s'imaginer qu'elle méritait d'être à ce point méprisée.

Cet homme était toxique, décidément toxique, et elle était bien malheureuse pour les femmes qui n'avaient pas la présence d'esprit de refuser ses avances. Qu'il soit un amant exceptionnel ou non, d'ailleurs (contrairement à ce qu'on pourrait croire, le sexe éveillait d'ailleurs un intérêt très limité chez elle, d'ailleurs. Certes, elle consommait, parfois, parce que c'était facile, par ennui ou par légère attirance, mais ce qu'on lui vendait de grandiose ou d'extatique, elle ne l'avait jamais connu... et se passerait bien de le connaître. Ce genre d'intimité, où on se met à nu au sens propre comme au figuré, c'était trop pour elle).

-Je suis une sale traînée et pourtant tu rêverais d'avoir cette chienne gratuitement dans ton lit, répliqua-t-elle simplement, d'un ton égale.

Elle s'en fichait bien que ce soit ainsi qu'il la considère. Evidemment, elle n'aimait pas se coltiner une telle réputation, mais c'était fait de longue date... et elle ne la volait pas totalement, sa réputation. Ce qu'elle faisait, c'était se vendre aux autres... pas forcément en offrant ses services sexuels, mais en séduisant, ce qui aux yeux de nombreux hommes revenait certainement au même. Alors soit, elle n'était pas respectable... et il ne savait pas tout. Il y avait un océan entre l'image qu'il se faisait d'elle et qui elle était... mais il y avait aussi quelques ponts... Car oui, des hommes qu'elle usait jusqu'à la corde pour obtenir leurs faveurs, il y en avait. Le fait qu'elle ne couchait pas avec ne faisait pas d'elle une personne honnête pour autant.

-Même une fille aussi facile et peu respectable que moi n'a pas envie de toi, je comprends que tu l'aies mauvaise.

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ouais. Aileen voulait bien croire que Borys Woodley portait son arrogance comme une seconde peau, ça ça ne faisait aucun doute, en revanche, elle était convaincue de sa mauvaise foi quand il affirmait que le rejet constant qu'elle lui opposait l'indifférait. Elle voulait bien croire que son ego de mâle en avait pris un coup, et elle ne s'attendait pas qu'il se mette à ses genoux en la suppliant de bien vouloir passer un moment privilégié avec elle, mais au bout d'un moment, il faut pas déconner non plus. Elle n'avait jamais affirmé qu'il la mettait sur un piédestal et la recherchait désespérément, il n'était pas un dévoué à la manière d'Illan, et ça valait mieux. Mais qu'il fasse mine tout à coup de ne plus avoir envie d'elle, c'était assez fort, quand même. Il s'imposerait sa compagnie par pur esprit de vengeance ? Dans l'espoir de la rendre folle. Mouais, pour quelqu'un qui ne lui donnait aucune importance, il perdait tout de même beaucoup de temps à s'imposer la compagnie désagréable d'une fille qui ne voulait pas de lui alors qu'il pourrait tout simplement voir ailleurs.

Enfin, si ça l'amusait de s'en convaincre, c'était son problème, après tout. Si vraiment Borys abandonnait l'idée de la mettre dans son lit, elle serait la dernière à s'en plaindre. Il pouvait répéter encore et encore qu'elle n'avait aucune importance, en somme qu'elle n'était rien, son ego ne dépendait certainement pas de l'opinion de cet homme, alors il pouvait bien insister autant qu'il le voulait. D'accord, ça ne serait pas arrivé dans tous les cas, parce qu'elle n'aurait pas permis que ça arrive. Mais moins il y avait d'hommes pour jouer les forceurs autour d'elle, mieux elle se portait. Et l'air de rien, c'était quand même un cas de figure qui se présentait relativement rarement. Donc oui, si c'était vraiment le cas, eh bien tant mieux, bingo !

-Chercher à me rendre folle par tous les moyens, ce n'est pas du tout les manières d'un homme qui m'accorde de l'importance, merci de me l'apprendre, répliqua-t-elle dans un mystère. Vous les hommes êtes un tel puits de mystère.

A prendre des "oui" pour des "non", à cracher à la gueule de celles qu'ils étaient prêts à adorer l'instant d'avant... L'orgueil masculin n'avait pas de limites. Enfin, elle disait ça, mais son orgueil féminin non plus. Même si elle n'était pas spécialement vexée ou dérangée par les propos de Borys. Le coup de fuis-moi je te suis, ça ne marchait pas avec elle. Si Borys choisissait de la mépriser totalement de de ne plus la désirer du tout, elle en serait ravie. Ils seraient sur un pied d'égalité comme ça.

-Tu sais, il va vraiment falloir que tu mettes les bouchées doubles si t'espères me rendre dingue. Je dis pas que je passe le meilleur moment de ma vie, mais toi aussi, j'ai comme l'intuition que tu te donnes trop d'intérêt.

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orys lui assura qu'il ne comptait pas trop d'efforts pour elle. Elle ne savait pas s'il était sincère, s'il faisait preuve de mauvaise foi, ou s'il envisageait que le fait de feindre le désintérêt exciterait tout à coup le sien, mais en ce qui la concernait, elle espérait définitivement qu'il était sincère. Le peu d'efforts qu'il fournissait, si ce n'était vraiment que peu d'efforts, était déjà sérieusement lassant pour elle, alors si elle devait en subir plus, elle aurait sans doute du mal à en rester à des politesses feintes (ou pas).

Apparemment, Borys la voulait agressive, voulait la voir sortir de ses gonds. Elle ne savait pas franchement ce que ça lui apportait. Une basse vengeance parce qu'elle s'était refusée à lui. si tel était le cas, c'était non seulement immature mais en rien attirant. Là encore, s'il pensait la punir par son comportement en la traitant comme une moins que rien, il se fatiguait pour rien. Elle en avait vu d'autres. Bien sûr, elle ne passait pas le meilleur moment de sa vie et cette conversation lui tapait singulièrement sur le système. Mais elle était une grande fille, elle s'en remettrait. Et surtout, d'autres l'avaient blessée beaucoup plus. Et de façon bien plus efficace.

-Eh bien ravie d'avoir fait ton bonheur, répondit Aileen, lasse d'une conversation dont elle n'avait pas voulu pour commencer. Mais je m'en voudrais de le voir durer trop longtemps.

Elle se leva. Cette conversation avait déjà beaucoup trop duré. Borys éprouverait peut-être il ne savait quelle satisfaction malsaine à l'avoir fait fuir, mais au final, elle décidait qu'elle s'en moquait. Partir, c'était se donner l'occasion de passer moins de temps avec cet homme qui l'insupportait. Ils auraient déjà beaucoup trop d'occasions de se voir le reste du temps, puisqu'ils travaillaient pour le même employeur. En rajouter n'avait franchement rien de nécessaire. Elle enfila sa veste et s'empara de son sac.

-Tu paieras l'addition, n'est-ce pas ? dit-elle avec un sourire rayonnant en considérant son verre vide qui restait sur la table.

C'était un moindre coût pour le temps qu'il lui avait fait perdre, même si elle l'écourtait tout de même au maximum. En même temps, à quoi bon accorder davantage de temps à cet homme malsain qui donnait tout l'air de s'en délecter ?

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