Il ne faut parfois pas grand chose. (Mildred)

Les jours se suivaient avec une monotonie affolante, et plus les jours passaient, plus Mildred réalisait combien Jacob n'avait pas eu son pareil pour apporter à sa vie le grain de folie et d'optimisme qui lui manquaient définitivement quand elle était seule, simplement entourée de ses parents, et de ses quelques amis qui gravitaient tous autour des mêmes sphères. Sa vie manquait dorénavant cruellement de fantaisie.

Mais elle ne pouvait s'en prendre qu'à elle-même, bien sûr. C'était son choix, sa décision... et elle n'avait aucun droit de reprocher aux circonstances ce qu'elles étaient alors que c'était elle qui avait provoqué tout cela. Pas par manque d'amour, pourtant, car Mildred aimait toujours Jacob, mais parce qu'elle n'avait pas eu le courage d'échapper à la pression parentale.

Alors oui, seul l'ennui occupait à présent les journées de Mildred. L'ennui et quelques regrets. Qu'elle tentait de combler en sortant plus souvent qu'elle n'en avait l'habitude.

Elle avait en effet pris l'habitude de flâner dans les rues de New York... sans poursuivre forcément d'objectifs particuliers, au demeurant... juste pour le plaisir de prendre l'air et de marcher un peu.

Et ce fut là qu'elle le croisa. Elle ne savait pas si tout le monde le vivait de la même manière, mais quand elle se séparait de quelqu'un à qui elle avait tenu, elle avait tendance à voir cette personne partout, sans doute parce qu'elle y pensait un peu trop... et donc, elle passa d'abord devant la vitrine de cette boutique vide sans s'arrêter. Puis finalement. Elle recula. Non, elle n'avait pas seulement cru l'appercevoir. C'était bel et bien Jacob.

Elle resta un instant dans la rue, sans oser entrer... elle était saisie d'hésitation. Elle devait assumer ses choix, et elle se doutait qu'elle était la dernière personne que Jacob avait envie de voir à l'heure actuelle, c'était elle, après la façon brutale dont elle avait rompu avec lui. Mais elle, elle avait envie de lui parler. De s'excuser, peut-être, aussi, de l'avoir si peu ménagé... Elle avait toujours détesté les ruptures, et ça la rendait maladroite.

"Jacob...", dit-elle en osant ouvrir la porte des lieux. "Qu'est-ce que tu fais ici ?"

Elle était curieuse, et stressée en même temps. Elle avait peur qu'il l'envoie balader. Et il aurait raison, évidemment.

C’était définitivement un rêve qui devenait une réalité… Jacob ne pouvait que se sentir heureux et clairement en cet instant précis il se sentait heureux alors qu’il contemplait la boutique dans laquelle il se trouvait. Cet endroit allait devenir sa boulangerie, cet endroit allait devenir son rêve. C’était fait maintenant, c’était officiel. Jacob savait qu’il devait se montrer encore un peu patient, parce qu’il allait y avoir besoin d’un peu de temps avant que la boulangerie soit prête, mais il était en bonne voie. Il l’était bien plus que quand il avait décidé de se rendre à la banque pour demander un prêt, et qu’on le lui avait refusé. À chaque fois qu’il repensait à cet instant, Jacob sentait une boule dans son ventre. Ce souvenir lui avait clairement laissé plus de marque qu’il ne l’aurait cru. Sans doute parce que ça avait eu plus d’une conséquence.

Mais maintenant, Jacob pouvait enfin avancer. Même si au fond, le jeune homme avait aussi conscience qu’il lui manquait quelque chose, sans qu’il ne parvienne à mettre le doigt dessus. Il y avait comme un goût de manque, alors qu’il avait clairement tout ce qu’il voulait. Ou presque, bien sûr, Jacob ne pouvait pas nier le fait qu’il pensait quelque peu à Mildred. Il regrettait la décision qu’elle avait prise, même si ça lui avait ouvert les yeux sur ce qu’elle devait ressentir pour lui. En se trompant de toute évidence. Parce qu’une voix du « passé » ne manqua pas de le sortir de ses rêveries. Mildred venait de passer le pas de la porte de la boutique et lui demandait ce qu’il faisait ici. Jacob resta une seconde sans rien dit, surpris de se retrouver devant son ancienne fiancée, surpris également qu’elle vienne le voit et lui demande ce qu’il faisait là. Se demandant au passage s’il avait réellement des comptes à lui rendre. Parce que poser son regard sur elle, ça ne faisait que lui rappeler la manière dont elle l’avait quitté… dans le pire moment de son existence.

« Eh bien… » Jacob hésité une seconde, observant un peu autour d’eux. « Je viens d’acheter cette boutique. »

Et Mildred allait forcément comprendre son projet, elle était bien placée pour le savoir en même temps. Il n’avait pas abandonné son envie d’ouvrir sa boulangerie, même s’il avait dû attendre et qu’il ne savait toujours pas maintenant comment il en était arrivé là. Il savait comment il avait eu l’argent, en théorie, mais en pratique il ne savait toujours pas qui était son généreux donateur. Sans cela, il aurait dû attende encore plus longtemps, mais Jacob n’avait pas envie de penser à tout cela. Juste se dire qu’il allait enfin pouvoir avoir sa propre boulangerie et il avait tout un tas de projet en tête.

« Eh bien… »

Dans le temps d'hésitation de Jacob, Mildred lut certainement plus que ce qu'il y avait à interpréter en réalité. Elle se sentait vraiment mal à l'aise, et elle s'attendait à tout moment à se faire envoyer sur les roses.

Ce n'était pas le genre de Jacob d'agir ainsi, c'est vrai, mais elle le mériterait quand même étant donné la manière dont elle l'avait quittée, alors elle ne savait pas faire autrement que de se sentir atrocement anxieuse.

Mais finalement, Jacob se contenta d'embrasser les lieux du regard avant de finalement formuler sa réponse, une réponse assez inattendue, à vrai dire. Même si elle s'en voulait de l'avoir trouvée inattendue en réalité.

« Je viens d’acheter cette boutique. »

Il n'avait pas besoin d'en dire plus, ils savaient tous les deux ce que ça signifiait. S'il avait acheté cette boutique, c'était dans l'optique d'y établir sa boulangerie.

Dans la tête de Mildred, les questions en même temps que les regrets se bousculaient... Elle voulait demander à son ex-fiancé comment il avait réussi à rassembler les fonds nécessaires pour financer sa boulangerie, alors qu'elle était bien placée pour savoir combien les banques étaient frileuses à la perspective de financer son projet, en l'absence de garantie. Mais elle savait que la question serait évidemment indélicate, et elle n'avait pas envie de l'être... Elle l'avait suffisamment été vis-à-vis de lui.

"Oh... je suis vraiment heureuse pour toi ! Félicitations !"

C'était sincère. Elle était vraiment heureuse pour lui. Elle n'avait jamais voulu le malheur de Jacob, c'était même tout l'inverse, et elle se sentait soulagée de voir les rêves du jeune homme se réaliser.

Mais au fond d'elle, c'est vrai, elle ne réussissait à se réjouir qu'à moitié. Il y a quelques semaines, elle cédait à la pression parentale et rompait ses fiançailles avec Jacob parce que ce dernier échouait dans ses projets. Et à présent qu'ils n'étaient plus ensemble, Jacob réussissait tout à coup ses projets, au nom desquels il avait essuyé échec sur échec.

Forcément, elle se demandait ce qui se serait passé si elle avait laissé plus de temps à Jacob... La réponse était simple à ses yeux, ils seraient encore ensemble à l'heure d'aujourd'hui... Les sentiments ne s'effacent pas en un tour de main, Mildred était toujours amoureuse de Jacob. Mais elle se voyait mal faire ce genre de pas vers lui alors qu'elle l'avait si brutalement rejeté avant... Elle était passée à côté de sa chance.

Clairement, Jacob se sentait mal à l’aise en cet instant précis à dire à Mildred qu’il venait d’acheter cette boutique. Il n’avait en soit aucune raison de se sentir mal à l’aise, parce que c’était ainsi, qu’il réussissait enfin son rêve. Mais il ne savait pas… il y avait comme une sorte de tension. Puisque forcément, le no-maj (qui n’avait pas réellement conscience d’être un no-maj, puisqu’il avait oublié le monde des sorciers) ne pouvait pas s’empêcher de penser au fait que la jeune femme sous ses yeux l’avait quitté parce qu’il ne parvenait pas à arriver à ces rêves. Et ça ne datait pas de si longtemps que cela, quand bien même Jacob avait vécu sans se rendre compte de nombreuses aventures pendant ce laps de temps, donc Mildred aurait pu… elle aurait pu peut-être tenir un peu plus et ils auraient été ensemble aujourd’hui pour fêter ça.

Évidemment, le jeune homme ne pouvait pas s’empêcher de se dire cela, de penser ainsi. Même s’il n’avait aucune idée de ce qu’il pouvait bien faire pour autant, là maintenant… qu’il se retrouvait devant son ex fiancée pour qui son cœur battait encore. Évidemment qu’il l’aimait encore, mais il le ressentait bien… quelque chose avait changé. Sans doute parce qu’il avait été plus que blessé par son abandon, parce qu’il aurait aimé qu’elle ait plus confiance en lui (même si en même temps, il ne pouvait pas entièrement lui reprocher d’avoir cédé à la pression de ses parents, le jeune homme savait bien que ces derniers n’étaient pas des plus tendre). Dans tous les cas, il ressentait qu’il y avait bien quelque chose qui avait changé, même s’il ne pouvait pas nier que la présence de la jeune femme le perturbait encore énormément.

« Merci. » Répondit-il simplement, quand la jeune femme affirma qu’elle était vraiment heureuse pour lui. Est-ce que la jeune femme était sincère ? Jacob n’avait en tout cas aucune raison de mettre en doute les paroles de son ex fiancée, même si elle pouvait dire cela par convenance tout simplement. Mais quand bien même la jeune femme avait décidé de le quitter, il savait qu’elle avait soutenu autant qu’elle l’avait pu. Avant de lâcher l’affaire évidemment. « Comment vas-tu ? » Demanda-t-il finalement, en partie dans le but quand même de changer de sujet de conversation.

Oh, le jeune homme aurait des tonnes à dire sur la question, il pouvait parler encore et encore de sa boulangerie tant il était passionné. Mais clairement, il ne pouvait pas s’empêcher de se sentir mal à l’aise, parce qu’il se trouvait en compagnie de Mildred. Dans tous les cas, Jacob – même s’il ne pouvait pas nier qu’il lui en voulait quand même grandement, il était un peu naïf ça ne changeait rien au fait qu’il était blessé quand même – se demandait vraiment comment se portait son ancienne fiancée.
 

« Merci. »

Mildred afficha un fin sourire, un peu gêné. Le malaise, entre eux, était palpable... et c'était compréhensible. Ils ne s'étaient pas revus depuis leur rupture et la situation suggérait que si elle avait tenu plus longtemps, sans céder à la pression parentale, ils seraient encore ensemble à ce jour, et célèbreraient la réussite du boulanger prometteur comme il se doit.

Oui, Mildred était au comble de la gêne, et elle sentait bien que Jacob ne se sentait pas mieux de son côté. Elle se demandait si elle avait bien fait de venir lui parler, au final... Elle n'avait pas envie de le mettre mal à l'aise. En même temps, si elle l'avait vu et tracé son chemin malgré tout, elle aurait eu des remords et des regrets, pour longtemps. Même si ce n'était pas simple, c'était une bonne chose qu'ils puissent crever l'abcès. Après tout, Jacob restait une personne vraiment importante pour elle, et elle l'aimait sincèrement, encore aujourd'hui.

« Comment vas-tu ? »

Jacob lui prouvait encore à quel point il était quelqu'un de bien. De nombreux autres hommes, après avoir vu leurs fiançailles rompues si brutalement, l'auraient sûrement envoyée balader ou auraient cherché toutes les manières possibles de la blesser. Pas lui... Elle le savait, il était une perle rare. Et elle l'avait laissé filer.

"Oh, ça... va."

Elle n'avait pas grand chose à dire de ce qu'avait été sa vie durant ces dernières semaines. Elle avait été... quotidiennes, et surtout, elle avait passé beaucoup de temps avec ses parents. Et elle ne pensait pas qu'aborder le sujet de sa famille puisse être considéré comme une bonne idée, en aucune manière.

Alors le plus simple était de rester vague et évasive, même si elle ne put s'empêcher d'ajouter une nouvelle remarque qui lui porterait certainement préjudice.

"C'est... vide, sans toi."

Elle avait baissé les yeux en prononçant ces mots et n'osait pas les relever. Son malaise augmentait d'un cran. Forcément... Jacob arrivait à ses objectifs, et, tout à coup, elle revenait vers lui ? Encore un peu et il douterait peut-être même du fait qu'ils se soient rencontrés par hasard.

Pourtant, elle parlait avec le coeur. Elle n'attendait rien de particulier de la part de Jacob, mais elle se montrait simplement sincère. Et il lui manquait, c'était la vérité.

L'intention de Mildred n'était pas d'appitoyer Jacob ou de le mettre mal à l'aise, elle avait simplement besoin d'exprimer le fond de sa pensée, elle avait besoin de le dire une bonne fois pour toutes. Parce qu'elle ne réussissait pas à se l'ôter de la tête. Elle ne savait pas quand elle aurait l'occasion de revoir Jacob, de lui reparler. Alors... elle n'avait rien à perdre, en fin de compte.

Jacob lui manquait... leur rupture avait été sa première vraie rupture amoureuse, et elle ne s'était pas imaginée que ça puisse être aussi éprouvant, à ce point douloureux. Il lui avait énormément manqué, elle avait pensé à lui tous les jours, elle s'était torturée de questions concernant ce que leur vie aurait été si elle n'était pas partie. Alors, quand ils se retrouvaient face à face, c'était plus fort qu'elle, il fallait qu'elle en parle.

« J’aurais… J’aurais adoré t’entendre dire ça plus tôt. »

Mildred se mordilla la lèvre inférieure. Elle comprenait... Tout était de sa faute. Elle n'avait pas été assez forte, elle lui avait tourné le dos. Elle avait envie, très envie de revenir en arrière, de réparer ses erreurs, de tenir le coup, de dire non à ses parents, mais le train était passé, elle ne pouvait pas le rattraper.

Surtout que ça semblerait vraiment hypocrite et intéressé de venir espérer qu'il la reprenne alors qu'il avait enfin accompli ses objectifs... Il allait ouvrir sa boulangerie, et elle, elle revenait dans sa vie, comme une fleur... il serait normal que Jacob se pose des questions. Qu'il s'interroge même sur les sentiments qu'elle avait eus pour lui. Des sentiments forts, pourtant. Elle ne s'était pas moquée de lui. Mais elle n'avait pas été à la hauteur.

"Je suis vraiment désolée." Elle marqua une légère pause. "J'avais peur, de décevoir mes parents, de devenir un poids pour toi... et j'ai été égoïste, je sais." Elle parvint à lever le regard, elle espérait que si Jacob acceptait de croiser le sien, il constaterait qu'elle était vraiment sincère. Et qu'elle n'était pas en train jouer les opportunistes. Elle savait que Jacob ne voudrait plus d'elle. Elle voulait juste... ne pas le perdre totalement. "J'espère que tu finiras par me pardonner."

Pas la reprendre... elle le voudrait, mais elle n'était pas naïve. Juste la pardonner, rien que ça.

« Maintenant que j'ai de quoi ouvrir ma boulangerie ? »

Mildred serra les dents. Elle devait reconnaître qu'elle ne l'avait pas volée, même pas volée du tout. Elle avait vraiment cherché cette situation, mais même en l'ayant cherchée, elle ne l'avait pas voulue.

Bien évidemment, la question se posait. Elle devait paraître sacrément intéressée à se repointer comme une fleur au moment où le jeune homme trouvait les moyens d'ouvrir cette boulangerie. Mais elle n'avait pas provoqué cette rencontre, le hasard seul en avait décidé. Est-ce qu'elle se serait excusée également si Jacob lui avait appris que rien n'avait changé pour lui ? Eh bien... oui, parce que ses remords étaient sincères et constants. Il ne se passait pas un jour sans que leur passé commun ne lui revienne à l'esprit. Et dès lors, elle regrettait immédiatement.

« Je suis enfin… digne de toi. »

Mildred se sentait horrible. Mais là encore, elle savait très bien que cette situation, elle l'avait cherchée, et les réflexions de Jacob, elle les avait bien méritées. Et elle ne pouvait pas dire que ce n'était pas ce qu'elle avait pensé. Qu'il n'était pas digne, pas tant d'elle mais de sa famille. Et de ce que l'on attendait d'elle au bout du compte.

Elle avait cédé à la pression familiale, c'est vrai, mais elle aurait très bien pu choisir de ne rien écouter et de faire comme bon lui semblait, d'écouter son coeur plutôt que sa raison. Elle ne l'avait pas fait, elle en était la seule et unique responsable.

Elle prit une grande inspiration. Elle se retrouvait face à l'homme qu'elle aimait toujours, et devait accuser le contrecoup de ses propres erreurs, supporter son amertume. Qui était compréhensible, mais qui lui faisait beaucoup de mal.

"Non..." Elle hocha doucement la tête de gauche à droite. "Tu vaux bien plus que moi." Elle marqua une pause. "Tu t'es accroché à tes rêves, tu t'es obstiné, tu n'as pas abandonné... Alors que moi..." Elle baissa les yeux. "A la première difficulté, j'ai baissé les bras, et j'ai renoncé à la seule chose qui me rendait vraiment heureuse."

Il penserait peut-être qu'elle cherchait à l'embobiner, mais qu'importe. Elle lui confiait tout simplement ce qu'elle avait sur le coeur, sans autre volonté que de se décharger enfin de ce poids.

« C’est vrai ? Je te rendais heureuse ? »

Mildred percevait une certaine émotion dans la voix de Jacob, et elle en serait presque émue elle-même. La jeune femme appréciait de le savoir touché par les propos qu'elle tenait. Elle n'avait pas envie de lui faire plus de mal qu'elle n'en avait déjà fait, bien sûr - et elle savait qu'elle en avait fait beaucoup, mais elle aimait percevoir qu'au-delà du ressentiment et de la rancœur, il se dissimulait quelque chose de fort et de puissant, une chose qu'ils ressentaient tous les deux encore maintenant, même s'ils n'étaient plus ensemble...

Elle hocha la tête avec un sourire empreint de tendresse. Elle ne le baratinait pas, elle pensait les mots qu'elle venait tout juste de prononcer. Bien sûr qu'il l'avait rendue heureuse, bien sûr qu'elle l'avait aimé. Et qu'elle l'aimait toujours, d'ailleurs.

Oui, leur histoire avait eu des hauts et beaucoup de bas. Il y avait eu les disputes, la frustration, la déception... mais une fois séparée de Jacob, c'est comme si tous ces moments n'avaient plus existé pour Mildred, et elle ne s'était plus rappelée que les bons moments. Tous ces instants de pure complicité, leurs conversations à n'en plus finir, leurs fous rires, leurs moments d'intimité. Même ces moments où ils ne se disaient rien, chacun au coin d'une même pièce, savourant la présence de l'autre sans avoir rien besoin de dire. C'était vrai de dire que l'on prend conscience de la valeur des choses une fois qu'on les avait perdues.

Mildred n'avait jamais été à ce point consciente de ses sentiments pour Jacob, de combien il était précieux pour elle. Réaliser que leur rupture avait remis en cause dans l'esprit de son ancien fiancé jusqu'à l'idée qu'elle ait vraiment trouvé le bonheur à son côté, c'était dur à entendre, et en même temps logique. Elle avait renoncé à ce bonheur en quelques mots seulement.

"Bien sûr", répondit-elle avec douceur. "Je n'aurais jamais accepté de t'épouser, si ça n'avait pas été le cas." Elle l'avait accepté alors que sa famille désapprouvait, jamais elle ne l'aurait fait dans le cas contraire. "On était bien, tous les deux..."

Mais elle avait malgré tout laissé ses parents et sa cupidité gâcher une belle histoire.

« Je… Je trouve aussi. »

Les mots de Jacob réchauffèrent un peu le cœur de Mildred. Dans le fond, elle n’avait pas réellement douté du fait que Jacob avait sincèrement aimé les moments qu’ils avaient partagés. Après tout, c’était elle qui était partie, non l’inverse.

Ils s’étaient aimés, elle l’avait ressenti, mais il aurait été en droit de laisser parler sa déception et sa colère et de prétendre que rien de tout ceci n’avait vraiment compté pour lui. Elle l’aurait reçu comme une gifle en plein visage mais ne le lui aurait pas reproché… ça aurait été de bonne guerre.

Elle le sentait, il restait sur la défensive, et c’était normal. Malgré tout, il ne semblait pas vouloir que la rancœur l’emporte, et en ce sens, il lui confirmait restait l’homme le plus mature qu’elle ait jamais rencontré. En vérité, il avait eu plus d’une qualité, il les avait toujours. C’était ses erreurs à elle qui avaient tout brisé, tout détruit. Et elle n’inverserait pas les rôles, même si c’était tentant de prétendre l’inverse.

« Ça ne… ça ne sera jamais comme avant. Je ne peux pas juste oublier, et faire comme si de rien n’était. Mais je veux bien essayer de te pardonner. »

Mildred sourit malgré elle. Elle avait cru qu’il l’enverrait balader, qu’il accepterait ses excuses sans pour autant rien attendre d’elle, tout en lui demandant de l’oublier, mais ce n’était pas le cas.

Oui, il était prudent dans ses propos, il affirmait que plus rien ne serait pareil, et ce n’était sans doute pas plus mal, mais elle avait le sentiment qu’il entrouvrait la porte. Et maintenant, c’était à elle de l’ouvrir davantage, en évitant tout de même de forcer le passage.

« Merci », répondit-elle avec douceur. « Est-ce que… tu es peut-être occupé mais, on pourrait aller boire un café quelque part ? » Avec hésitation, elle attrapa sa main dans la sienne, comme pour appuyer son invitation. « Tu m’as manqué… »

Elle devrait peut-être s’abstenir de prononcer ces mots. Elle ne voulait pas donner à Jacob l’impression qu’elle voulait lui retourner le cerveau ou le manipuler. Ça en donnerait peut-être l’air, mais ce n’était pas le cas, pas du tout.

Elle avait juste envie, besoin de le lui dire. Elle l’avait là, sous les yeux, et c’était évident, il lui avait atrocement manqué, tout ce temps. Elle voudrait effacer le passé et juste rattraper le temps perdu.

Jacob ne détacha pas sa main de la sienne, au grand soulagement de Mildred. Il aurait eu toutes les raisons du monde de le faire, elle ne pouvait pas le nier ni n'aurait su le lui reprocher par ailleurs, mais elle avait besoin de ce contact, et de cette assurance qu'il restait quelque chose entre eux, et que le lien qui les unissait n'était pas totalement brisé.

Seraient-ils capables de reconstruire ce qu'ils avaient bâti ensemble ? Avaient-ils encore le droit à l'avenir qu'ils avaient esquissé tous les deux avant de rebrousser chemin ? Mildred n'avait aucune certitude à ce sujet. Ce qu'elle savait en revanche, c'est qu'elle voulait parvenir, d'une façon ou d'une autre, à retrouver cet équilibre perdu.

Elle allait devoir batailler pour ça, elle l'avait bien compris, et c'était bien normal, c'était de bonne guerre après tout ça, mais ça ne l'empêchait pas d'avoir envie d'y croire malgré tout. L'attitude de Jacob lui laissait à penser que tout n'était pas perdu encore. Il y avait de la déception de sa part, sans doute, mais malgré tout de l'affection. Certains gestes ne trompaient pas. Certaines paroles non plus, d'ailleurs.

« Tu… tu m’as manqué aussi. »

Mildred adressa à son fiancé - ou plutôt à celui qui avait été son fiancé, elle n'avait pas la moindre idée de ce qu'il en était dorénavant - le plus tendre des sourires. Sa réponse était la plus belle qu'il pouvait lui donner, vraiment, et elle lui allait droit au coeur.

S'ils s'étaient manqué tous les deux, c'était bien qu'il y avait quelque chose : leurs sentiments n'étaient pas éteints, ils ne demandaient qu'à renaître, peut-être plus beaux, plus forts qu'à l'époque : ils avaient dépassé la barrière que représentaient ses parents à ses yeux : rien que ça, c'était déjà un pas immense, quand on y réfléchissait. Ils seraient peut-être capables de tout recommencer sur des bases bien plus solides et capables de durer.

« J’ai… eh bien, j’ai deux trois petites choses à terminer. Ça ne devrait pas être très long, donc, si tu veux ensuite on peut aller boire ce café. »

Il y avait une certaine hésitation, mais elle ne rejetait pas sa proposition, elle grapillait du terrain, petit à petit, et le constater lui faisait honnêtement du bien.

"Est-ce que je peux t'aider, peut-être ? On ira plus vite à deux."

C'était sa manière de faire preuve de bonne volonté, de lui montrer qu'elle était là pour lui, en espérant qu'il accepterait cette nouvelle main tendue.