Cible en vue [pv Henry]

O

btenir un rendez-vous personnel avec Henry Shaw Sr. n'avait pas été une mince affaire, mais elle y était parvenue... et elle n'était pas peu fière de son petit subterfuge. Elle avait laissé comprendre à sa secrétaire qu'elle disposait d'informations compromettantes au sujet de Mary Lou Barebone et des fidèles de Salem. Elle s'était dit qu'au vu de l'implication de son fils avec cette organisation, cela devrait lui parler et l'encourager à la rencontrer en face à face. Apparemment, ça avait effectivement été efficace, puisqu'elle avait rendez-vous dans le bureau du patron de presse, et elle était prête, déterminée à sortir le grand jeu.

A peine sortie de prison, la jeune femme était partie en quête de sa prochaine victime. Ce n'était certainement pas deux petites années passées à l'ombre qui allaient la dissuader en quoi que ce soit de reprendre ses habitudes. Son mode opératoire était confortable et efficace, alors pourquoi en changerait-elle ? Elle avait donc cherché parmi les vieux milliardaires influents de New York celui qui serait potentiellement capable d'ouvrir son coeur à une nouvelle aventure, et son choix avait été aussi pratique qu'évident au bout du compte. Henry Shaw Sr. était vulnérable, donc sans doute influençable sentimentalement parlant. Et en plus d'être une prise de choix. Elle pourrait, qui sait, user directement de son influence pour arranger les affaires de Grindelwald si cela devait lui chanter.

Cela ne coûtait rien d'essayer, en tout cas, et Billie était très impatiente de se remettre en selle. Elle avait déniché la tenue la plus élégante possible à sa disposition, elle n'avait pas lésiné sur la mise en beauté, et elle attendait, à présent, qu'on l'invite à entrer dans le bureau de sa cible. Elle contemplait son reflet dans son miroir de poche quand on l'appela. Enfin, on appela en vérité une dénommée Ava Woodley, puisque c'était le nom d'emprunt qu'elle avait décidé d'utiliser pour séduire cet homme (elle ne pouvait jamais prendre le risque de se présenter sous son véritable nom, évidemment, ce serait prendre un risque beaucoup trop inutile).

Quand elle entra dans son bureau, elle lui adressa son sourire le plus séduisant, ravie de reprendre du service. Elle espérait qu'elle avait bien analysé cet homme à distance et qu'elle avait en effet toutes ses chances. Cela restait encore à déterminer.

-Merci de me recevoir, monsieur Shaw.

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B

illie ne se fit pas prier quand elle fut invitée à prendre place, elle s'installa donc, en profitant pour observer son interlocuteur plus attentivement. Ce n'était pas la même chose que de voir sa cible en photo et de pouvoir l'examiner en personne... Elle estimait qu'elle aurait pu plus mal tomber. Certes, Henry Shaw n'était pas non plus une gravure de mode, mais en comparaison de la plupart des vioques qu'elle avait fait tomber dans ses filets, il était tout de même un peu mieux entretenus. Elle avait de la bouteille, elle avait fait mine de tomber sous le charme d'hommes particulièrement repoussants, ce n'était pas un frein pour elle. Ceci dit, la tâche était tout de même plus agréable quand ses proies ne lui donnaient pas d'office l'envie de vomir rien qu'en les regardant. Enfin, rien n'était fait encore, et il était grand temps, bien sûr, de passer à l'attaque.

-Avant toute chose, acceptez toutes mes condoléances, j'ose à peine imaginer combien il doit être douloureux de perdre un enfant...

Enfin, en vérité, elle-même l'avait vécu à sa façon, quand elle avait décidé de se débarrasser de son foetus indésirable plutôt que de laisser son enfant grandir dans un monde qui lui serait hostile, de sorte qu'elle avait finalement perdu toute possibilité d'avoir des enfants à nouveau... Mais si c'était un récit qu'elle gardait pour plus tard, car susceptible de l'attendrir, elle n'en ferait rien pour le moment.

-Je souhaiterais vous aider à démanteler la secte qui cherche à vous priver de celui qu'il vous reste.

Bien sûr, ce n'était pas du tout son but premier, cela dit, se servir des fidèles de Salem à son compte pour servir ses propres fins lui semblait ne pas être une mauvaise manière de joindre l'utile à l'agréable. Pour le moment, elle se contentait d'appuyer sur les cordes qu'elle estimait sensible, et elle jaugeait le résultat. Ensuite, elle s'adapterait en fonction, tout simplement. Jusqu'ici,chez tous les hommes qu'elle avait rencontrés, elle avait toujours su trouver une manière, n'importe laquelle de s'attirer leur sympathie, de devenir l'amie, la maîtresse, la confidente, tout à la fois... Elle ne se voyait pas faillir cette fois non plus. Surtout qu'elle considérait que les cartes qu'elle avait en main n'étaient pas si mauvaises.

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B

illie afficha un sourire contrit en entendant la réponse de son interlocuteur, faisant mine d'éprouver toute la compassion du monde à son sort quand, en réalité, elle n'était pas réellement capable de faire preuve à ce point d'empathie. Le sort d'Henry Shaw était malheureux, mais après tout, des malheurs, il en arrivait à tout le monde, et d'une manière ou d'une autre, il avait sans doute mérité ce qui lui était arrivé. Mais passons. Il lui confirmait du moins ce qu'elle supposait déjà : à savoir qu'elle se trouvait présentement en compagnie d'un homme blessé, affecté par le sort, fragile, donc, et qui saurait sans doute se ruer sur la première épaule qui accepterait d'accueillir ces dites faiblesses.

Il acceptait ses condoléances et sa sollicitude, semblait même presque prêt à accepter son aide, il semblerait qu'elle ait fait mouche, maintenant, c'était à elle de tirer son épingle du jeu. Et pour ça, il était assez évident qu'elle allait devoir faire preuve de trésors d'ingéniosité voire de perfidie, et ne pas hésiter à mentir à tour de bras. Et ça tombait bien, le mensonge était une seconde nature, chez elle... Maintenant, toute convaincante qu'elle pouvait être, il fallait également qu'elle trouve un mensonge qui le soit autant. Car c'était une chose que d'appuyer sur une corde sensible pour en tirer le meilleur profit, maintenant, il fallait savoir jouer le jeu jusqu'au bout.

-Nous avons un ancien contentieux, elle et moi, fit mine d'admettre Billie dans un soupir, improvisant au fur et à mesure. Elle ne connaissait Mary Lou Barebone que de nom, elle ne l'avait jamais approchée ni ne lui avait jamais parlé. Mais ça, bien évidemment, la cheffe de file des fidèles de Salem n'avait aucun besoin d'en savoir quoi que ce soit. Ma soeur a toujours été très fragile... les idées de cette folle alliée l'ont totalement endoctrinée... J'ai dû... prendre des mesures, pour l'empêcher de se faire du mal... et d'en faire aux autres...

Le coup de la soeur internée à cause des fidèles de Salem, ça pouvait après tout fonctionner. Ce n'était pas si faux que Matildus avait perdu une soeur, qui plus est, même si les Barebone n'avaient rien à voir là-dedans. Eleanora était comme une soeur pour elle, après tout. Avant qu'elle ne choisisse de faire cavalier seul. En bref de faire n'importe quoi.

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E

n son for intérieur, Billie jubilait. Elle savait qu'elle n'était pas mauvaise menteuse et plutôt bonne actrice, il le fallait quand on désirait mener une "carrière" profitable de veuve noire. Si elle s'était fait pincer, ce n'est pas parce que ses talents pour la comédie lui faisaient défaut. Ceci dit, Henry Shaw aurait pu choisir de se méfier malgré tot, c'est qu'elle ne s'attaquait pas à n'importe quel morceau, cette fois-ci, et Henry Shaw avait de meilleures raisons d'être défiant et paranoïaque que n'importe qui d'autre après tout ce qui lui était arrivé. Ceci dit, il sembla totalement gober son histoire (ou bien lui aussi était un excellent menteur), et elle en était ravie. C'est que, pour le moment, les choses se présentaient plutôt bien. Il ne suffirait pas de cela, bien sûr, mais établir d'entrée de jeu ce rapport de proximité en mettant en commun leurs histoires prétendument similaires, ça avait de bonnes chances de fonctionner, sur le principe.

En tout cas, cela fonctionna suffisamment pour que Henry affirme être désolé de ce qui était arrivé à sa soeur imaginaire. Elle baissa doucement les yeux, un sourire triste sur les lèvres, sa manière de lui faire comprendre que sa soeur n'allait pas réellement mieux. Etait-ce vraiment nécessaire que d'ajouter cette source de drame supplémentaire ? Pas forcément, mais cela donnait du moins le sentiment que Billie avait toujours toutes les raisons du monde de se sentir impliquée dans ce que Henry Shaw vivait et de vouloir lui venir en aide.

-Nous allons tout faire pour que votre fils vous revienne, je vous le promets, répondit Matildus avec toute la considération qu'elle n'éprouvait pas après avoir entendu le père parler de son fils trop borné et qui ne voulait plus entendre parler de lui sous prétexte de croire dur comme fer en l'existence de la sorcellerie - si cet homme savait... Mais s'il devait l'apprendre un jour, ce ne serait certainement pas de la bouche de Matildus. Elle avait trop à gagner en se taisant. Enfin... si vous acceptez mon aide, du moins. Elle marqua une légère pause. Je pourrais tenter de me rapprocher de cette femme, et de découvrir les sombres secrets qu'elle dissimule forcément. Avec votre influence au sein de la presse, il ne serait guère compliqué de faire paraître un article qui suffirait à démanteler sa stupide organisation pour de bon.

Ce n'était qu'un prétexte, ceci dit, si on pouvait faire d'une pierre deux coups et se débarrasser des fidèles de Salem, ce ne serait pas si mal.

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B

illie afficha un modeste sourire quand son pigeon, enfin, son charmant interlocuteur, la remercia pour sa compassion. Modeste, il pouvait bien se permettre de l’être, ce sourire, car Billie n’était clairement pas un exemple d’empathie ou de sollicitude, en réalité. Tout ce qu’elle faisait en ce bas monde, elle ne le faisait jamais que dans son propre intérêt (en même temps, quand elle choisissait de s’intéresser à d’autres, ils le lui rendaient si mal qu’ils lui faisaient bien vite passer l’envie de réitérer, très clairement), et son discours comme son initiative étaient d’un égoïsme consommé. Mais le patron de presse semblait sincère quand il la remerciait, ce qui devait donc signifier qu’il gobait ses mensonges… le reste n’avait dès lors qu’une bien maigre importance. Tout ce qui lui importait, c’était que d’amadouer cet homme, et elle avait le sentiment d’y avoir réussi.

En tout cas, il n’était manifestement pas insensible à son discours. Elle avait su trouver son talon d’Achille (sans trop de mérite, il n’était pas bien difficile à discerner), et à présent, elle comptait bien en abuser, appuyer sur cette corde sensible, jusqu’à la briser si nécessaire, jusqu’à devenir elle-même la corde sensible, et la seule attache à laquelle cet homme démuni et donc accessible pour elle pouvait espérer se raccrocher. Elle en était encore loin, mais si elle jouait bien son jeu, elle pourrait bien y réussir, et elle y était déterminée. Elle avait le sentiment que l’homme mordait à l’hameçon, la prise était bonne, elle allait sans doute se régaler, sous peu… d’une fortune qu’elle avait grand besoin de renflouer.

-Le danger ne m’a jamais vraiment inquiétée, répondit-elle quand l’homme, sans accepter d’office son aide, la considéra tout en affichant quelques réticences à l’idée qu’elle puisse se mettre en difficulté.

Billie disait vrai, en cet instant. Non, en effet, le danger ne l’avait jamais inquiétée. Il fallait savoir vivre dangereusement quand on décidé d’emprunter les chemins qui constituaient sa voie depuis bien longtemps à présent. Et en l’occurrence, si situation dangereuse il y avait, elle ne résidait pas forcément dans ce que l’homme qu’elle convoitait imaginait. Elle savait se montrer prudente dans son propre intérêt, et imprudente, rarement dans l’intérêt des autres.

-Je n’ai plus rien à perdre de toute façon.

Et allez, sortez les violons ! Jusqu’ici, ça marchait plutôt bien, elle espérait que ça continuerait. Même si ce n’était pas garanti. Si jamais, elle ajouterait quelques percussions pour rendre la mélodie moins sirupeuses… Mais elle n’estimait pas que ce soit nécessaire.

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L

es propos de Billie, tous éhontément faux, bien sûr, avaient eu pour seule vocation de s'attirer la compassion et la sympathie de son interlocuteur, et elle était ravie de constater que son petit numéro mélodramatique faisait mouche. La veuve noire se félicitait d'être une bonne actrice. Elle savait en être une, ses petites manoeuvres avaient fait leurs preuves de longue date, mais il était toujours agréable de constater qu'elle n'avait pas perdu la main. Certes, rien n'était fait encore, mais pour le moment, ils s'engageaient sur la voie qu'elle souhiatait.

C'était rassurant, quelque part, car son âge avançant, elle savait qu'il y avait des atouts sur lesquels elle pouvait moins compter qu'à une époque. Certes, elle n'était pas entièrement décrépite encore, il lui restait de la ressource, au moins un minimum, mais le temps ne faisait pas de cadeaux aux femmes même les plus plantureuses et les plus soucieuses de leur apparence. On admettait sans mal que les rides sur le front d'un homme leur conférait un certain charme (encore que celui de son interlocuteur avait dépassé aux yeux de Billie la possibilité de rentrer dans ses critères - mais elle n'attendait pas de cet homme qui lui plaise physiquement - ou qu'il lui plaise tout court, d'ailleurs, elle voulait seulement qu'il se plue à ses exigences, rien d'autre). Mais sur une femme, c'était une autre affaire, et elle savait bien qu'à un moment ou à un autre, on n'autoriserait plus la jeune femme d'être considérée comme belle selon les standards usuel, encore moins comme jeune. Au mieux lui dirait-on qu'elle était belle "pour son âge", et elle devrait le considérer comme un compliment ultime.

Entendre de son interlocuteur qu'il la trouvait jeune et belle, c'était donc une petite victoire, à ses yeux, même s'il n'avait peut-être que cherché à la rassurer, le fait que les mots franchissent ses lèvres semblaient laisser entendre qu'il n'était pas entièrement insensible à ses charmes. Et donc, en laissant le temps au temps (mais pas trop quand même, Billie n'était pas du tout du genre patiente), elle devrait obtenir un résultat à la hauteur de ses projets comme de ses attentes.

-Vous le pensez vraiment ? demanda-t-elle avec une légère émotion au creux de la voix. Moi je n'en suis pas certaine... J'ai l'impression d'avoir déjà tout donné, et tout perdu. Et je me sens terriblement seule...

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L

e discours de son interlocuteur était particulièrement encourageant. Elle n'irait pas s'imaginer bien sûr que l'affaire était dans le sac, mais cela lui donnait quelques indications sur l'état d'esprit dans lequel se trouvait sa nouvelle cible à l'heure actuelle, et les indications en question étaient globalement en sa faveur. En lui confirmant le fait que la solitude pouvait en effet être pesante, il admettait le fait que lui-même se sentait seul, ce qui était bien sûr une part majeure de son travail que de s'en assurer. De même, quand il affirmait qu'il ne fallait pas abandonner après avoir préciser que l'on avait tendance à penser nos proches irremplaçables, elle considérait de fait qu'il ne devait pas être fermé à la perspective de faire entrer une nouvelle femme dans sa vie.

Des veufs, Mary Lou en avait côtoyé plus d'un, c'était même ceux qu'elle préférait car fragilisés par les circonstances, et bien souvent plus âgés. Certains restaient attachés si forts au souvenir de leur épouse défunte qu'obtenir un résultat de leur part tenait d'un processus long et agaçant - que faciliterait l'administration d'un philtre d'amour, certes, mais ce n'étaient pas ses méthodes. Parfois, elle en jouait, elle s'assurait de devenir la copie conforme de ces épouses disparues afin de gagner des points auprès du veuf implorant. Mais pour cette fois, elle ne pensait pas que ce soit une stratégie à laquelle il lui faudrait à tout prix se plier, et elle en était, à vrai dire, ravie.

-J'ignore comment vous faites, répondit-elle d'une voix volontairement tremblante, bien décidée à jouer la carte du mélodrame jusqu'au bout. J'admire votre courage mais... je ne suis pas sûre d'en avoir la force. Pas toute seule en tout cas. Elle prit une grande inspiration. Comment faites-vous ? demanda-t-elle en l'observant d'un regard voilé de larmes de crocodile. Pour rester aussi déterminé ? Qu'est-ce qui vous motive ? demanda-t-elle, ce qui était autant une manière de le caresser dans le sens du poil en vantant ses qualités qu'une façon de grapiller quelques informations supplémentaires à son sujet.

Elle n'avait pas la moindre idée de ce qu'il allait lui répondre, mais de la moindre réponse, dans tous les cas, elle comptait bien tirer profit. Jusqu'à obtenir précisément ce qu'elle désirait.

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ans trouver cet homme attirant, Mary Lou voulait bien reconnaître qu'elle appréciat son tempérament, sa force de caractère et sa manière de penser. Il était un homme d'affaires, lui expliquait-il, il n'abandonnait jamais. Elle était faite du même bois. Certes, les affaires dans lesquelles elle baignait étaient très particulières, c'était rien de le dire, mais il n'empêche qu'elle aussi fonctionnait de la sorte, quand elle se trouvait un os à ronger, elle ne le lâchait pas jusqu'à en avoir savouré jusqu'à la substantifique moelle. Sa détermination, son obstination lui rendraient très certainement service, en l'occurrence.

Là où il était très différent d'elle, c'est qu'il avait le sens de la famille, et était capable d'une empathie dont elle-même était quasiment dénuée (quasiment, car elle s'autorisait tout de même quelques exceptions, mais elles restaient rares malgré tout), mais ce trait de caractère devrait lui servir. L'homme ne donnait sans doute pas facilement sa confiance, mais sous ses airs de force de la nature imprenable, il restait un être humain, qui laissait ses ambitions et ses motivations dépendre de la vie et de l'affection d'autrui. Si sa femme et ses enfants avaient été son moteur. Elle s'arrogerait le rôle de moteur à son tour, comblerait le vide, s'approprierait la place que tous ceux qu'il avait perdus jusqu'ici. Elle était convaincue qu'elle était capable de trouver cette place effectivement.

-Ce n'est que temporaire, jusqu'à ce qu'on vous rende votre fils, lui assura Matildus avec un tendre sourire. Ne renoncez surtout pas à lui, il vous le reprochera peut-être pour commencer, mais il vous remerciera plus tard. S'il est tout ce qu'il vous reste, il faut absolument que vous vous battiez pour lui. Une émotion toute feinte vint faire trembler sa voie, il était certainement temps de verser dans un nouveau mélodrame. Si cela pouvait avoir le don d'attendrir son interlocuteur, alors ça lui irait très bien. Les enfants sont le cadeau le plus précieux que la vie puisse nous faire.

Sa voix tremblait. La vérité, c'est que si elle entrouvrait une porte sur son vrai passé, sur sa vraie histoire, il y avait longtemps qu'elle n'en souffrait plus, pour sa part. Elle avait transformé sa douleur en haine, en rage de vaincre, et c'était une position qui ne changerait plus.

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P

our tout dire, malgré les encouragements de Billie, cette dernière n'avait pas vraiment envie que son interlocuteur se rabiboche avec son fils, et elle espérait bien que la fierté naturelle et manifeste d'Henry Shaw l'empêcherait de faire ce pas vers sa progéniture. Et elle comptait également sur le fait que le fils en question était quoi qu'il en soit trop borné et lobotomisé pour entendre raison de la part de son paternel. Matildus choisissait toujours ses cibles avec le plus grand soin. Il fallait qu'elles soient moldues, par soucis de revanche personnelle, âgées, pour que leur disparition pose le moins de question possibles, et isolées pour pouvoir attirer leurs faveurs plus facilement.

Les hommes désespérés étaient son fond de commerce, pour ainsi dire. Et même si elle ne réussissait pas encore à jauger le degré de difficulté que lui demanderait la séduction de Henry Shaw, elle savait qu'il serait tout de même plus simple de lui mettre le grappin dessus si l'homme était entièrement isolé de tous ceux qui en temps normal lui adressaient leur affection. Elle le voulait éprouver le besoin désespéré d'être compris et aimé. Sans forcément le comprendre pour autant. C'était ainsi, en était-elle certaine qu'elle lui mettrait le grappin dessus. Aussi, oui, il n'était pas nécessaire du tout que Henry Shaw renoue avec son fils. Surtout que les enfants étaient souvent insupportables, dans ces conditions. Elle avait déjà dû en gérer certains. Toujours à mettre le nez dans vos affaires et à douter de votre sincérité, et à vouloir remonter le paternel contre vous;

-Pour être honnête, je n'attendais plus grand-chose de l'avenir. Elle lui adressa un fin sourire. Mais je commence à y voir plus clair, ajouta-t-elle. Vous allez peut-être trouver cela étrange... mais le simple fait de vous parler... Elle esquissa un sourire, prétendument embarrassée, alors qu'en vérité, son discours était rodé de longue date. Il n'était pas le premier à qui elle servait ce genre de propos, et si tout se passait bien, il ne serait pas le dernier non plus. Eh bien... Vous m'apaisez. J'ai l'impression que vous me comprenez, sans que j'ai besoin de dire quoi que ce soit. Et j'ai l'impression de vous comprendre.

Inventer une inexplicable connexion entre eux, voilà qui n'était pas si mal. Ce n'était pas une méthode qui fonctionnait à chaque fois mais... qui sait.

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U

n sourire différent de ceux qu'il lui avait adressés précédemment, peut-être plus franc, plus sincère, même si encore très mince, décora les lèvres du richissime patron de presse, et Billie en retira un sentiment de profonde satisfaction, qu'elle se retint d'afficher, quand bien même l'envie y était. Rien n'était fait, bien sûr, mais elle avait le sentiment, tout de même, de gagner du terrain, et ce n'était pas pour lui déplaire.

Pour rouler sa bosse depuis un moment maintenant, elle savait qu'il ne suffisait pas d'un rendez-vous pour que l'affaire soit pliée (encore que quelques vieux lubriques qui se contentaient aisément de sa plastique n'avaient clairement pas été difficiles à convaincre, mais Henry était de ces hommes avec qui il fallait qu'elle crée une proximité davantage émotionnelle, et forcément, cela prenait plus de temps), mais elle pensait savoir reconnaître les signes les plus encourageants, et concernant Henry, elle avait le net sentiment d'avoir su appuyer sur la corde sensible.

Il affirma qu'il ne trouvait pas son sentiment étrange, qu'il ressentait le même, au contraire. Très bien, très bien, c'était définitivement une chose que Matildus avait voulu entendre, et c'était bon signe. C'étaient des mots qu'il pouvait prononcer par pure politesse aussi, c'est vrai, mais elle en doutait fort. Elle avait la meilleure des intuitions concernant son interlocuteur, et elle était de plus en plus certaine d'avoir touché le gros lot. Il précisa que son entourage ne s'était pas montré très compréhensif ces derniers temps. C'était une chose que Billie avait devinée, et dont elle avait voulu jouer, bien évidemment. Les hommes les plus isolés socialement étaient forcément les plus accessibles. Ils cherchaient chez la première personne réceptive venue l'affection que personne d'autre ne savait leur donner.

Il était ravi de l'avoir rencontrée, il qualifiait sa compagnie de "charmante". Elle afficha pour la peine son sourire flatté de circonstances, qui bien souvent faisait son petit effet auprès des hommes. Quand il la remercia, elle craignit qu'il cherche à prendre congé d'elle, mais il reprit la parole, ce qui la rassura un peu, car elle n'en avait pas encore fini avec lui. Même s'ils auraient encore d'autres conversations pour faire plus ample connaissance, bien sûr.

-Je vous le promets, je ne dirais plus une chose pareille, répondit Billie avec un sourire. Si vous me promettez également de partager le même optimisme, précisa-t-elle, toujours pour faire mine de veiller à son bien-être. Je pense en effet que ma vie est sur de meilleurs rails, à présent. Après tout, vous en faites partie, maintenant.

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atildus réprima un soupir qui l'aurait clairement sortie de son rôle. Elle avait deviné que son interlocuteur était déprimé, et on le serait pour moins que ça au vu de tout ce qu'il devait endurer, mais elle ne s'était pas imaginée pour autant qu'il serait à ce point... défaitiste ? De loin, elle le prenait pour un homme de poigne, un requin aux dents longues, un peu comme elle... En soi, ce n'était pas plus mal. Plus il était déprimé, plus il était vulnérable, et donc plus il était à sa merci (enfin elle l'espérait), ceci dit, elle avait toujours eu une patience limitée avec les hommes comme les femmes qui se laissaient dominer par les circonstances et baissaient les bras, refusant en conséquence de se battre pour un meilleur destin. Elle voulait son interlocuteur affaibli, oui, mais tout de même capable de s'ouvrir à de nouvelles perspectives, puisqu'elle-même comptait bien faire partie de ces perspectives, justement.

Mais bon, elle trouvait tout de même par quel bout le prendre... jusqu'ici, elle avait toujours trouvé une manière d'attirer les hommes qu'elle avait dans le collimateur dans ses filets, avec l'âge, c'était peut-être plus difficile, mais elle continuait de penser que c'était tout sauf impossible. Il s'était confié, il affichait ses faiblesses - ce qu'il ne faisait pas forcément avec tout le monde -, c'était plutôt engageant et révélateur. Même si elle considérait malgré tout que ce n'était pas encore assez.

-Essayer, ça ne suffit pas, décréta Matildus d'un ton déterminé. Malgré tout mon respect, je ne vais pas me contenter de ça. Si vous attendez de moi que je croie en l'avenir, que j'y croie réellement, alors vous devez tenir ce même engagement avec moi, pas juste promettre d'essayer. Elle marqua une légère pause. Vous savez quoi ? Je crois que vous devriez sortir un peu de votre routine. Ruminer dans ces bureaux ou chez vous ne peut pas vous aider à avoir l'esprit clair.

Elle se décidait pour une attaque frontale. Ce n'était pas forcément le plus avisé, mais elle sentait qu'il fallait bousculer un peu les choses, sinon, ils allaient noyer leurs malheurs, le sien prétendu et celui de son interlocuteur bien réel, dans un silence de plomb et il ne se passerait rien. Tout l'inverse de ce qu'elle désirait, donc. Il était temps de passer à la vitesse supérieure.

-Et si nous sortions un instant nous aérer l'esprit, vous et moi ?

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H

enry ferait-il vraiment les efforts qu'il lui promettait ? Cela n'avait rien de certain ? Matildus en avait-elle quelque chose à faire ? Eh bien, à dire vrai, oui. Il fallait qu'elle opère un certain changement dans la mentalité de cet homme si elle voulait espérer lui mettre le grappin dessus, elle l'avait bien compris, mais chaque chose en son temps. Elle était habituée. Même si elle avait déjà rencontré quelques vieux lubriques bien trop heureux d'intéresser une femme aussi plantureuse qu'elle pour attendre plus d'une rencontre pour lui céder, gagner le corps d'un homme et gagner son coeur n'étaient pas la même chose, et c'était ce deuxième point qui l'intéressait vraiment. C'était le coeur qui donnait une libre voie d'accès au portefeuille. Elle saurait donc faire preuve d'un minimum de patience. Elle se remettait doucement en selle. Rien ne pressait, après tout.

Elle était tout de même un peu frustré de le voir refuser de poursuivre cette conversation à l'extérieur. Il fallait qu'ils se voient et se parlent dans un autre cadre pour qu'elle parvienne à ses fins, mais l'homme n'était pas encore prêt à négliger son travail pour elle, et apparemment, il était temps qu'il s'y remette. Cela dit, il ajouta quelques mots à son adresse que la veuve noire ne pouvait que trouver particulièrement encourageants. Il serait ravi de la revoir. Elle décidait de prendre au sérieux ce qui pourrait n'être qu'une simple formule de politesse. Elle considérait ne pas être si mauvaise quand il était question de déchiffrer les hommes, et elle était assez convaincue de lui avoir fait très bonne impression, et que son intention de la revoir était par conséquent tout à fait sincère. Après avoir affiché une moue déçue, elle la remplaça par un sourire sincère.

-Moi aussi, répondit-elle alors avant de fouiller dans son sac pour lui tendre un papier sur lesquels elle nota son nom d'emprunt et son adresse du moment. N'hésitez pas à me contacter ou à venir me voir. Et si vous m'oubliez, comptez sur moi pour repasser prochainement, ajouta-t-elle avec un brin de malice dans la voix. J'ai vraiment été ravie de faire votre connaissance, monsieur Shaw, compléta-t-elle en se rapprochant de lui pour lui serrer la main avant de risquer une légère bise sur sa joue et de s'en aller, satisfaite de cette demi-victoire.

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