Refuser la confidence, c'est admettre la non-confiance. (Darlene)

C'

était un sentiment incroyable, proche d'indescriptible, que celui de connaître une vérité qui échappait à tant d'autres, une vérité d'une telle importance qu'elle devait forcément changer votre perception de la vie, du monde, de la réalité, dans de larges proportions. C'était un peu angoissant, il est vrai, mais Darlene trouvait cela plus exaltant qu'autre chose. Elle ne s'était jamais sentie aussi épanouie que depuis qu'elle avait découvert l'existence de la magie, depuis qu'on lui avait rendu un frère qui lui avait manqué toute sa vie sans qu'elle soit même capable de s'en rendre compte.

Ce qui était le plus incroyable, c'est que quand on commençait à y regarder de près, on réalisait que la magie était partout. La preuve, toutes les personnes qu'elle côtoyait de près ou de loin, dont certaines dont elle était très proche, avaient été confrontées au monde des sorciers sans même le savoir. Cette pauvre Debrah qui pleurait la mort de son fiancé... eh bien, la sorcellerie lui avait volé l'homme qu'elle aimait (ce qui ne convainquait pas Darlene du caractère maléfique qu'aurait la magie, ce que clamaient haut et fort ces tarés des fidèles de Salem - Darlene n'en revenait toujours pas que ces gens qu'elle avait si longtemps pris pour des illuminés soient en réalité si proches de la vérité). Jacob, lui, avait vécu des aventures extraordinaires, en compagnie de sorciers dont tout le monde avaient parlé jusquu'à la fin de l'année, et il n'en savait plus rien, maintenant. Même l'homme qu'elle avait aimé (et aimait encore en vérité) appartenait à ce monde sans qu'elle le sache. En fait, elle ne pensait pas qu'il y ait aucun "no-maj", comme on les appelait (elle aimait assez peu cette appellation qui les qualifiait par la négative, un peu comme si on les appelait des non-humains, mais elle faisait avec), qui n'ait pas un jour été confronté dans sa vie, voire oublietté. Enfin, en tout cas, elle savait maintenant qu'aucun New-Yorkais ne l'avait pas été. Elle y compris, après la soirée du Nouvel An.

Mais certains y étaient liés de plus près qu'on ne l'imaginerait. C'était le cas de Cherryl, tombée amoureuse d'une sorcière. Quand elle avait découvert cela, la très sage Darlene avait été... bouleversée. Elle avait été éduquée à penser que l'amour entre deux femmes était impossible. Mais elle avait, au fil du temps, et grâce à cette histoire, appris à réviser son jugement. Quoi qu'il advienne, Cherryl restait son amie, et elle avait mal au coeur pour elle. Personne ne devrait jamais être séparé de la femme ou de l'homme de sa vie. C'était pour cette raison qu'elle était venue trouver Jane en premier lieu, puis c'était devenu une habitude. Une manière de faire perdurer cette histoire tuée dans l'oeuf. Raison pour laquelle elle s'était rendue dans son appartement, au fond ravie de passer du temps avec elle. Car au-delà de son amitié pour Cherryl, elle appréciait également la compagnie de Jane.

-Salut, ça me fait plaisir de te revoir. Tu vas bien ?

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arlene afficha un sourire sincère quand son interlocutrice lui assura être heureuse de la revoir aussi. La jeune femme avait la faiblesse de penser que c'était sincère, et ça lui faisait plaisir. Sur le principe, elles n'étaient pas forcément faites pour s'entendre et devenir amie, l'assurance et le charisme de Jane intimidaient un peu Darlene, d'ailleurs. Mais dans tous les cas, elle se sentait plus à l'aise, maintenant, parce qu'elle se sentait bienvenue ici. Elle n'avait pas l'impression de s'imposer, et c'était tant mieux.

Jane ajouta qu'elle allait plutôt bien. Darlene en était heureuse pour elle. Etant donné la vie qu'il lui fallait mener (même si elle n'avait pas connaissance de toute l'histoire non plus), elle savait qu'elle aurait de bonnes raisons de se morfondre, et Darlene pourrait bien le comprendre. Objectivement, son histoire avec Emmett était moins douloureuse et pourtant, elle la poursuivait encore et lui faisait toujours autant mal quand elle y pensait, alors elle devinait combien ça devait être dur aussi pour son interlocutrice, quoi qu'elle en dise. Mais elle savait garder la tête haute, et c'était une chose importante.

-Je veux bien de l'eau, répondit simplement Darlene. Elle n'allait pas paraître très... amusante, comme fille, mais elle s'en moquait. Avoir un verre d'eau lui permettrait de garder contenance, mais elle n'avait pas envie ou besoin d'autre chose. Je vais bien aussi, répondit-elle, réalisant qu'elle n'avait pas répondu à son interlocutrice.

Et c'était entièrement sincère de sa part. La vie de Darlene n'était certes pas parfaite, mais la jeune femme savait qu'elle n'avait que peu de raisons de s'en plaindre. Certes, elle avait été ébranlée par son chagrin d'amour, mais elle avait appris à aller de l'avant, et elle aimait la vie qu'elle menait à l'heure actuelle. Elle aimait son métier, même s'il n'était pas toujours très stimulant, elle aimait la relation qu'elle parvenait à tisser, lentement mais sûrement, avec ce frère surgi de nulle part qu'elle apprenait à aimer en tant que tel, elle aimait ses moments de complicité avec Wade.

-Il est incroyable, cet appartement, ajouta-t-elle en jetant un oeil alentours.

De ce qu'elle savait, Jane ne devait pas rouler sur l'or, aussi elle était assez impressionné de découvrir cet endroit, même si le quartier lui avait déjà mis la puce à l'oreille. Son tout petit appartement ressemblait à un mouchoir de poche en comparaison. Pas que ça ait de l'importance, mais Darlene meublait surtout la conversation. Elle s'était attendue à ce que Jane l'interroge tout de suite au sujet de Cherryl, mais elle ne l'avait pas fait. Ce qu'elle appréciait quelque part. Car ça semblati vouloir dire aussi qu'elle voulait passer du temps avec elle juste pour le plaisir de sa compagnie.
   
   

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arlene était vraiment impressionné par cet appartement terriblement spacieux. Dans la situation où se trouvait Jane, ce semblait assez miraculeux qu'elle ait l'opportunité de vivre dans un endroit pareil. Jane lui apprit que l'appartement ne lui appartenait pas mais était à une amie, qui était bien assez fortunée pour se permettre de vivre dans un endroit pareil. Soit, la jeune femme n'avait pas l'intention de demander plus de précisions sur cette amie en question, elle se disait que si Jane avait véritablement l'envie d'en parler, elle le ferait d'elle-même, dans le cas contraire, autant ne pas poser la moindre question. D'autant que l'une comme l'autre savaient bien qu'elles n'étaient pas vraiment là pour parler de ça.

Certes, elles avaient fini par relativement bien s'entendre l'une et l'autre, mais malgré tout, Darlene n'avait pas la naïveté de penser qu'elles poursuivraient de se voir aussi assidûment qu'elles le faisaient s'il ne devait être, à aucun moment, question de Cherryl. Et Darlene n'acceptait tout à fait et sans s'en cacher, au demeurant. Elle aimait bien le rôle qu'elle tenait dans cette affaire, même si au final, il restait malheureusement beaucoup trop limité par rapport à ce qu'elle aimerait réellement être capable de faire.

Elles s'installèrent confortablement, Jane s'alluma une cigarette, Darlene laissa faire sans rien dire, même si c'était là le genre d'odeurs qui l'incommodaient au plus haut point. Après tout, c'était elle, l'invitée, aussi, c'était la moindre des choses qu'elle laisse son interlocutrice faire ainsi qu'elle le voulait. Déjà, Jane avait l'amabilité et la politesse de lui demandait comment elle allait, de lui parler de son travail, alors elle n'allait pas faire la fine bouche. Darlene était assez certaine du fait que son amie se fichait assez royalement de son poste de dactylo, mais au moins faisait-elle mine de s'y intéresser, en soi c'était déjà beaucoup.

-Oui, ça se passe bien. Ca continue de ne pas être le travail le plus fascinant du monde, mais ça permet de mettre du beurre dans les épinards. Et il fallait au moins ça puisqu'elle ne pouvait pas vraiment compter sur Wade financièrement (même si elle ne lui en voulait absolument pas pour cela. Elle restait certaine que son talent finirait par payer, à un moment ou à un autre). Darlene, bien consciente du fait qu'elle n'allait absolument pas s'éterniser sur un sujet qui n'allait dans tous les cas les intéresser ni l'une ni l'autre, prit la décision de se montrer plus frontale et d'en apprendre davantage à son interlocutrice. J'ai vu Cherryl, l'autre jour.

On allait donc cesser de faire semblant qu'elle était vraiment là pour autre chose. Elle avait revu Cherryl, et elle n'allait évidemment pas le cacher à Jane.
   
   

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intérêt que Darlene perçut chez Jane lui décocha un sourire, quand bien même il lui serra le coeur aussi. Elle n'avait pas besoin de dire grand-chose pour que la vérité se fasse jour. La jeune femme était toujours folle amoureuse de Cherryl... et c'était injuste que la vie et les circonstances les aient ainsi séparées toutes les deux, comme si la société ne leur mettait pas déjà des bâtons dans les roues... C'était ce qui était, et Darlene faisait de son mieux pour répondre aux questions de son interlocutrice sans pour autant attiser une flamme qui ne pourrait que la consumer. Elle espérait, vraiment, que les deux jeunes femmes finiraient par se retrouver, mais dans l'attente, eh bien... elle jouait son rôle, tout simplement. Et elle donnait à son amie des nouvelles à Cherryl, et elle espérait que celles-ci lui apaiseraient tout de même le coeur, ne serait-ce qu'un minimum.

-Ce n'est pas facile pour elle, évidemment...

Enfin, ça, c'était que que Darlene déduisait de ce que Cherryl ne lui disait pas. Cette dernière ne parlait jamais ou presque de ses parents. Elle parlait souvent de son frère, de ses collègues, de son travail, mais elle ne s'appesantissait jamais, en revanche, sur l'assassinat de ses parents. Mais c'était compréhensible, après tout. Cherryl n'était pas de nature à s'apitoyer sur son propre sort, loin de là, elle allait de l'avant. Et si elle mzettaittant de hargne et d'ardeur à son travail, ce n'était ben évidemment pas pour rien.

-Mais tu la connais, elle est forte, elle ne se laisse jamais abattre. Je crois qu'elle cherche surtout à focaliser son énergie sur son travail.

Et elle avait de quoi faire, surtout avec l'enquête qui concernait la mort du sénateur Shaw. Mort liée de très près à la sorcellerie... En vérité, Cherryl touchait la sorcellerie du bout des doigts sans arrêt, constamment. Elle n'était sans doute qu'à deux doigts de redécouvrir tout ce qu'on avait voulu lui faire oublier. Et quelque part, Darlene le souhaitait à Cherryl. En tous les cas, il était certain que, pour le moment, la jeune femme n'était pas du tout décidée à décrocher. Elle se noyait très probablement dans le travail.

-Et si jamais tu te poses la question... elle ne voit personne.

Autant le dire tout net, parce qu'il était assez évident que Jane devait s'interroger. Darlene pouvait aisément le comprendre. Elle-même, avant de revoir Emmett, n'avait pas cessé de se demander où il était, ce qu'il faisait, s'il avait trouvé quelqu'un... s'il ne l'avait pas laissé tomber pour quelqu'un, d'ailleurs (en l'occurrence oui, et ce quelqu'un était sa mère). Cherryl était une célibataire endurcie, et qui clairement, faisait passer son travail et son frère en priorité.
   
   

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a réaction de Jane en disait clairement long sur sa situation, et sur le fait qu'elle n'avait absolument pas tourné la page en ce qui concernait ses sentiments pour Cherryl. Quelque part, Darlene aussi devrait considérer que ce n'était pas une bonne chose et souhaiter à son amie qu'elle aille de l'avant, qu'elle tourne la page, qu'elle cesse de penser à cette femme qu'elle avait certes profondément aimée, mais qui dorénavant n'avait plus le moindre souvenir d'elle, mais elle n'aimait pas observer les choses sous cet angle. Et surtout, elle se révélait vraiment incapable d'observer les choses sous cet angle. Bien sûr, Cherryl pouvait bien faire, techniquement, ce qu'elle voulait, et Jane ne serait absolument pas en droit de le lui reprocher, mais ce n'est pas pour autant que le mal que ça lui ferait serait moins légitime.

C'était difficile, voire insupportable que de voir la personne que l'on aimait s'éloigner, avec le sentiment que rien ne saurait jamais être fait pour l'empêcher, pour y remédier. Jane avait peut-être besoin de se mentir à elle-même, mais elle pourrait difficilement lui mentir sur ce point. Et en effet, elle semblait admettre que ça ne servait effectivement à rien au vu des propos qu'elle tint ensuite, la remerciant. Darlene ne savait pas trop si elle avait raison de communiquer ainsi des informations qui éventuellement pourraient faire plus de mal que de bien à Jane sur le long terme, en appuyant sur une plaie qui demeurait ainsi ouverte, au lieu de la laisser cicatriser. Mais est-ce qu'elle serait vraiment capable de cicatriser sans son intervention ? Honnêtement, Darlene n'en était pas entièrement convaincue.

-Tu penses que si elle trouvait quelqu'un, ça changerait quoi que ce soit ? répondit Darlene avec prudence.

Elle, elle n'en était pas convaincue. Si elle avait dû revoir Emmett et que ce dernier avait été en couple, est-ce qu'il lui aurait été plus simple de tourner la page. Pas forcément. Si ce qui était à souligner était le caractère inéluctable de la situation, alors il n'y avait pas besoin de faire quoi que ce soit. Cette situation était déjà inéluctable. Du moins si l'on décidait de s'en tenir strictement aux règles et à la loi. Mais la loi était injuste et les règles étaient faites pour être transgressées, non ? Comment penser d'une autre manière quand on voyait dans quelle situation ces lois et réglementations les mettaient ? Elles brisaient des familles, elles détruisaient des couples. Qui pouvait vraiment observer la situation en l'état et ne pas constater l'ampleur de son injustice, ne pas se sentir profondément insulté, agressé par les circonstances.

-Peut-être que le moyen de régler la question, ce serait de lui apprendre toute la vérité.

Darlene n'était pas forcément la reine des bonnes idées, pour le coup, elle parlait clairement avec le coeur plus qu'avec la tête.
   
   

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I

l n'y avait sans doute pas pire conseil que ceux que Darlene pouvait donner à son interlocutrice. Influencée par sa propre expérience, elle était tout bonnement incapable de né pas encourager ce qui devrait ne pas l'être. Elle savait pertinemment que ce n'était pas l'attitude la plus saine à adopter, mais c'était plus fort qu'elle, définitivement. Elle privilégiait les sentiments humains à n'importe quelles règles et à n'importe quelles difficultés. Et c'était beaucoup triste pour elle de voir Cherryl et Jane individuellement et songer qu'elles pourraient être si heureuses ensemble, en réalité. Elles pourraient être plus heureuses que n'importe qui... Oui, avec ce que cela impliquait de difficultés, mais si Darlene avait bien appris une chose, c'était que rien n'était facile. Il fallait l'accepter et en tirer son parti, c'était comme ça, il n'y avait tout simplement pas d'autres choix, pas d'autres possibilités.

Darlene voyait bien que Jane n'était pas insensible à son propos, qu'elle avait envie d'y croire, quelque part, même si ce n'était pas évident pour elle. Elle sentait bien que c'était une chose qui lui en coûtait et demandait un réel effort de sa part, mais en même temps, ses sentiments étaient si forts qu'ils nécessitaient sans doute ce genre d'extrémités qui paraissaient tout à fait inacceptables. Elle voyait bien que Jane était plus que séduite par l'idée, même si elle savait très bien que ce n'était pas si simple. Pour la convaincre, le plus simple était sans doute de lui partager sa propre expérience, au bout du compte, même si rien ne garantissait qu'elle soit totalement convaincante.

-Je ne parlerais pas de... bribes de souvenirs, plutôt d'émotions... C'est compliqué à expliquer. Parfois, j'ai des flashes de mon enfance et j'arrive à me convaincre que ce sont des souvenirs, mais je n'en suis pas sûre, par contre, l'émotion que j'ai ressentie en retrouvant mon frère, ça, c'était quelque chose qu'aucun sortilège n'aurait pu effacer. Il m'a donné des preuves tangibles de qui il était pour moi, mais honnêtement, il n'a pas eu besoin de faire grand-chose pour me convaincre de qui il était pour moi. Je l'ai immédiatement senti, tu vois ? C'était... comme ancré en moi, tu vois. Et je pense que pour Cherryl, ce serait pareil. On peut effacer la mémoire, pas les sentiments.

C'était peut-être un peu excessif comme vision des choses, et dans le fond, elle n'en savait rien, mais c'était de cette manière qu'elle décidait de le voir et de le présenter. Elle avait besoin de le voir ainsi, de se convaincre que c'était ainsi, parce qu'elle ne voulait pas croire qu'on ait pu la déposséder de quelque chose de si fondamentalement lié à elle.
   
   

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