Écrire, c'est donner voix au silence || PV Adalbert

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ans grand ménagement, l'on fit comprendre à Adalbert qu'il était temps pour lui de débarrasser le plancher. Combien de temps était-il resté là, assis studieusement à la même place, à éplucher avec toute la délicatesse du monde des manuscrits cent fois plus vieux sans doute que la bibliothèque croulante où il s'était établi ? Il ne saurait le dire. Ce qu'il pouvait affirmer, c'est que quand il était arrivé sur place, il faisait grand jour dehors, et il venait tout juste de savourer un frugal déjeuner. Maintenant qu'il mettait le nez dehors, il constatait qu'il faisait nuit noir. Le bibliothécaire ne plaisantait sans doute pas quand il lui répétait avec agacement que l'heure de fermeture avait été dépassée de trente bonnes minutes. Soit.

Ce n'est pas qu'Adalbert avait voulu se montrer désagréable ou contrariant avec ce pauvre homme qui ne devait demander qu'à rentrer chez lui après une longue journée de travail, mais quand le théoricien de la magie était plongé dans ses études et recherches, ce qui l'entourait disparaissait presque malgré lui. Il en goûtait de lui-même l'ironie, d'ailleurs. Resté à l'affut de toutes les singularités du monde, il avait besoin pour s'y pencher de mettre le monde de côté.

Quoi qu'il en soit, si cela n'avait tenu qu'à lui, il est évident qu'Adalbert serait resté plus longtemps encore sur place. Les manuscrits qu'il prenait soin d'éplucher avec minutie depuis plusieurs jours étaient malheureusement interdits à l'emprunt et d'une extrême fragilité, et il ne suffisait pas de faire valoir sa réputation d'écrivain reconnu pour faire exception à la règle. La suite devrait attendre le lendemain. En attendant, il comptait bien relire et rerelire ses notes avec le plus grand soin une fois rentré chez lui. Parfois, sans le savoir, on relevait des informations d'importance qui ne nous apparaissaient pas comme telles au moment de les transcrire. Cela dit, ce n'était pas pour tout de suite.

Car en chemin pour rentrer chez lui, il croisa un visage familier, celui d'Alfred Burroughs, qui avait été son professeur d'histoire de la magie - matière qui sans surprise passionnait Adalbert - quand il étudiait à Ilvermorny. Aujourd'hui, il en était devenu le directeur. Adalbert avait pour Alfred un profond respect et une sincère sympathie, il était de personne qu'il se plaisait à côtoyer sans avoir à déployer des trésors d'efforts et de sociabilité, car leurs conversations ne manquaient jamais d'intérêt, et Adalbert ne demandait qu'à ce que ses échanges avec les autres le stimulent intellectuellement.

-Je ne m'attendais pas non plus à vous voir ici, répondit Adalbert avec un léger sourire. Je vous aurais pensé à Ilvermorny. Mais ça tombe bien, je pense qu'un thé ne sera pas de refus, en effet. Ses travaux pouvaient attendre... pas souvent, mais dans ces circonstances, oui. Comment allez-vous ? lui demanda-t-il alors qu'ils se mettaient en route.

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dalbert se contenta de hocher simplement la tête quand son interlocuteur lui apprit qu'il avait l'intention de retourner à Ilvermorny le lendemain, mais que le MACUSA avait réclamé son aide... il n'en était pas réellement surpris. Et il savait par ailleurs que c'était un mythe que de s'imaginer que tous ceux qui travaillaient dans la prestigieuse école nord-américaine, y compris son directeur, y passaient leur viie entière sans jmais aller où que ce soit ni faire quoi que ce fut qui n'ait aucun lien avec la prestigieuse école. Pourtant, quand Adalbert était élève, et même un moment après encore, il l'avait bel et bien cru.

Il lui avait fallu Elizabeth et son poste de professeur d'étude des créatures magiques pour qu'il en découvre un peu plus sur l'envers du décor... Quand on comprenait que ceux que l'on prenait pour exemple depuis ainsi dire toujours n'étaient en définitive que des humains comme tout un chacun, c'était une révélation qui pour certains pouvait apparaître difficile. Aux yeux d'Adalbert, elle avait presqu'été rassurante. Même si de ce que c'est que d'être humain, le théoricien de la magie avait tendance à estimer qu'il en savait toujours bien trop peu.

En tous les cas, l'occasion de bavarder un peu entre eux était donc trop belle, même s'ils ne le faisaient pas forcément dans les circonstances les plus joyeuses que l'on puisse imaginer. Adalbert n'était pas surpris d'entendre qu'Alfred n'était pas au mieux de sa forme, il en était de même pour lui... il en était sans doute de même pour n'importe quel sorcier américain un tant soit peu concerné par les événements qui avaient tant et si bien bouleversé le monde magique, américain certes, mais avec le retour de Grindelwald, on pouvait s'attendre à ce que cela s'étende bien plus largement. Adalbert, bien que naturellement trop curieux, ne posa pas de question à ce sujet... à quoi bon ? Les quelques précisions qu'il lui donna confirmaient dans tous les cas son hypothèse. S'il ne connaissait pas le détail, il savait du moins la réponse. Alors certes, il avait toujours été avide de détails, mais quand bien même, il n'était pas du genre  à s'immiscer dans la vie des autres sans leur plein et entier consentement.

-Ils progressent, oui, confirma Adalbert avec un enthousiasme toujours renouvelé quand il était question de ses travaux, même si les récents événements ont aussi eu raison de mon assiduité. Sans avoir été touché directement, comme n'importe qui d'autre, il s'était senti concerné malgré tout, difficile de ne pas mettre ses autres considérations entre parenthèses, dès lors. Et je travaille également sur un autre projet, qui se révèle plutôt chronophage. En collaboration avec Eulalie Hicks.

Qu'il devait forcément connaître, puisqu'elle était professeure à Ilvermorny.

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l n'était sans doute pas nécessaire de s'épancher trop longuement sur les événements qui avaient bouleversé la communauté magique américaine. L'un comme l'autre ne sauraient qu'en dire la même chose, à n'en pas douter, et s'il n'y avait rien d'autre à en dire, alors il n'était pas nécessaire de retourner le couteau dans la plaie. La suite n'était pas entre leurs mains, alors mieux valait-il, sans doute, se focaliser avant tout sur ce sur quoi ils avaient prises, car quand bien même cela pouvait parfois sembler improbable, la vie suivait son cours, et donc chacun se devait d'en revenir à ce qui avait été jusqu'ici sa priorité. A Alfred la gestion d'Ilvermorny, à Adalbert ses recherches et l'écriture de ses livres... qui n'étaient en rien des entreprises vaines au demeurant.

Adalbert sirota la tasse de thé que venait de lui proposer Alfred avant de répondre à sa question. Il s'était douté qu'évoquer les travaux qu'il menait avec Eulalie exciterait sa curiosité, et il avait un peu compté dessus. C'était peut-être égocentrique de sa part, il ne saurait le nier, mais le théoricien de la magie adorait parler de ses travaux en cours, sans doute parce qu'il s'agissait là du domaine qu'il maîtrisait le mieux et qui était le plus susceptible de lui permettre de mener une conversation de bout en bout. Sa zone de confort, en quelque sorte. Même s'il repoussait toujours plus loin les limites de ses propres connaissances.

Dans tous les cas, il savait que son interlocuteur ne se forçait pas à lui en demander davantage. Alfred était de ces interlocuteurs avec lesquels Adalbert se sentait parfaitement à l'aise, car leurs conversations étaient toujours animées et passionnantes. Faire face à un interlocuteur intelligent et expérimenté aidait, il faut dire. Et il serait assez curieux, d'ailleurs, de recueillir son opinion sur le vaste champ d'exploration dans lequel l'écrivain et la professeure s'étaient engagés.

-Nous nous intéressons à la magie dite primitive, répondit-il alors. La magie sans baguette, dit plus communément. Un sujet fascinant, mais qui pouvait s'aborder sous des angles si nombreux qu'il nécessitait une véritable organisation. Heureusement, Adalbert n'en manquait pas. Vaste sujet s'il en est.

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dalbert vivait dans son monde, et il avait parfois quelques difficultés à prendre conscience de l'ennui profond que pouvait inspirer chez autrui ce qu'il considérait comme des sujets d'intérêt et de préoccupation majeurs. Il ne vivait ou presque que pour ses recherches, pour repousser plus loin les connaissances qui entouraient la matière de la magie, et il savait, même s'il mettait parfois du temps à s'en rendre compte en fonction de ses interlocuteurs, que certaines personnes demeuraient parfaitement hermétiques à ce qui était un objet de fascination pour lui.

Ce qui le captivait pouvait rapidement endormir un auditoire, mais en l'occurrence, il avait tout de même le sentiment que le directeur d'Ilvermorny n'avait pas à feindre l'intérêt pour en ressentir réellement. Si le sujet devait ne pas l'intéresser, il aurait sans doute eu l'honnêteté de le lui dire, ou bien se serait-il arrangé pour subtilement dévier de sujet, et Adalbert aurait laissé faire en reconnaissant au passage qu'il s'était laissé emporter, comme c'était trop souvent le cas quand il évoquait son travail. Non, en l'occurrence, Alfred s'intéressait, il rebondissait sur ses propos, il le questionnait sur l'avancement de ses projets, et Adalbert en était ravi, car il serait assez curieux d'avoir l'opinion éclairée de ce grand homme sur ses propres travaux, même s'il n'y avait pas grand-chose à en voir et en savoir pour le moment, malheureusement.

-Elles n'en sont qu'à leurs balbutiements, j'en ai bien peur, répondit Adalbert dans un fin sourire modeste.

Depuis sa conversation avec Eulalie, il ressassait le sujet encore et encore, il vivait dessus, il dormait dessus, il mangeait dessus... bref, si l'on devait compter le nombre d'heures consacrées à l'ouvrage, elles étaient par la force des choses déjà impressionnantes, mais en soi pas grand-chose malgré tout en comparaison de son oeuvre publiée qui lui avait valu son succès. Sa première réunion avec Eulalie avait eu lieu il y a peu, et ils n'avaient pour le moment que gratté la surface.

-Nous sommes encore en train de plancher sur la méthode de travail la plus efficace, afin que le travail de l'un n'empiète pas sur celui de l'autre, avec nos emplois du temps respectifs - surtout celui d'Eulalie -, vous imaginez bien qu'on ne peut mettre nos recherches en commun que trop rarement.

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endant quelques secondes, le silence se fit. Adalbert n’en prit pas ombrage. Il savait que son ancien professeur et lui avaient en commun certaines façon de procéder et de réfléchir. Ils laissaient au silence la place qu’il méritait quand il était question de rassembler leurs idées, de mettre de l’ordre dans leurs réflexions. Dans le cas d’Adalbert, au passage, ce n’était pas un moindre luxe. Le jeune homme était constamment en proie à un amoncèlement d’idées, de théories, d’hypothèses qui exigeaient un tris constant, ne rien oublier, ne rien négliger, mais compartimenter malgré tout. Il était devenu assez doué pour ça. Même si dans le cas de ses recherches actuelles, il faisait face à un tel foisonnement d’idées que faire le tri n’était pas toujours si simple.

Finalement, Alfred ouvrit l’un des tiroirs de son bureau et en tira un carnet qu’il tendit à Adalbert. Ce dernier l’attrapa avec toute la précaution du monde. Si quelqu’un avait conscience de la valeur que pouvait receler le carnet le plus inoffensif, c’était lui. En tant qu’écrivain, il avait depuis longtemps admit la valeur des mots, et il était donc décidé à n’ouvrir et feuilleter le carnet en question que lorsque le directeur d’Ilvermorny lui en aurait dit plus long sur son contenu. Ce qui ne mit, au final, pas longtemps.

Il s’agissait donc d’un carnet de voyage, dans lequel Alfred consignait toutes ses observations. Adalbert ne regrettait pas d’avoir considéré d’office l’ouvrage comme un bien précieux, à considérer avec la plus grande précaution. Il était évident que le savoir contenu dans ses pages pourrait lui être d’une grande utilité, que ce soit maintenant, dans le cadre de ses recherches actuelles, ou plus tard. Adalbert avait beau avoir la curiosité de tout, il était contradictoirement casanier, il était fort à parier qu’Alfred avait voyagé bien plus que lui.

Il évoqua l’Afrique, l’école de Ouagadou et la formation sans baguette des élèves. Il était lui-même très intrigué par cette spécificité et la façon dont la magie était assimilée et apprise en Afrique avait déjà fait partie de ses considérations d’observation, les notes d’Alfred allaient clairement lui faciliter la tâche.

-Je vous remercie, j’en ferais un excellent usage, assura-t-il tout en se décidant enfin à feuilleter minutieusement le carnet.

Et ce n’étaient pas des mots qu’il prononçait à la légère, sans les penser, il ne saurait être plus sérieux.

-J’envisageais d’écrire au directeur d’Ouagadou à ce même sujet. Vous n’auriez pas son contact, par hasard ?

Autant en profiter, tant qu’à faire.

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dalbert remercia son interlocuteur d'un sourire quand ce dernier lui donna le contact demandé, tiré de son carnet d'adresse ô combien fourni. Il est vrai qu'Adalbert devrait songer un peu plus à faire jouer ses relations dans le cadre de ses travaux, mais il ne lui viendrait jamais à l'idée d'importuner une sommité comme Alfred Burroughs (même si ce dernier lui rétorquerait peut-être qu'il ne l'importunait pas dans tous les cas) sous le prétexte de ses propres recherches. Malgré tout, force lui était de reconnaître que cette rencontre qui s'était faite totalement par hasard faisait bien les choses. Le théoricien de la magie quitterait cet endroit avec de nouvelles pistes à explorer (comme s'il n'y en avait pas suffisamment comme cela - mais Adalbert était tenté de dire que non, on pouvait toujours creuser plus loin et à tout endroit, c'était toute la beauté - et toute la complexité également - du travail de recherches).

-J'y penserai, se contenta de répondre Adalbert quand Alfred suggéra qu'il se rende en Afrique pour aprofondir ses recherches.

Ce qui était une réponse sincère au fond. Oui, il y penserait bel et bien. Mais il y avait une différence, et de taille, entre penser et exécuter. Au fond, il n'avait sans doute pas tort. Même si pour l'heure, et avant d'élargir leur propos, Eulalie et lui avaient décidé de se concentrer déjà sur le territoire américain, ce voyage était presque indispensable, au fond, à la bonne marche de leurs travaux. Pourtant, cette seule perspective le rendait à vrai dire assez nerveux. Très nerveux, même. C'était contradictoire et il le savait, une chose sur laquelle il devait travailler, mais c'était ainsi, Adalbert était casanier et tout sauf un grand voyageur. Ceci dit, aux grands maux les grands remèdes. Si Lally acceptait de l'accompagner, peut-être que ce ne serait pas si terrible ? ... ou pas. Contrairement à lui, elle avait largement l'habitude des voyages.

-Pour tout dire, l'idée vient d'Eulalie, mais c'est un sujet qui m'a toujours passionné. Quand on étudie la magie depuis presque toujours, revenir à sa source tient de l'évidence, je dirais. C'est seulement un travail trop conséquent pour un seul homme, j'en ai peur. C'est déjà plus simple de faire face à une telle masse de recherches avec une collaboratrice compétente.

Et pourtant, Adalbert était plutôt du genre à travailler en solitaire, même si ses recherches s'enrichissaient de ses diverses connaissances et correspondances. Mais il faut croire qu'il n'était jamais trop tard pour bouleverser ses habitudes. D'abord collaborer, ensuite voyager ? Peut-être, peut-être...

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