La curiosité pousse à chercher (Nagini)

S

kender avait précautionneusement cadenassé sa cage aux barreaux trop fins pour qu’elle puisse espérer s’échapper, même sous sa forme reptilienne. Sa dernière évasion avait, semble-t-il, été celle de trop, et elle avait clairement usé la patience de son monsieur Loyal… Elle s’était laissé faire docilement, elle ne regrettait pas le moins du monde les quelques instants de liberté qu’elle était parvenue à grapiller la veille, mais elle avait en revanche très bien retenu la leçon et n’avait aucune intention de réitérer… pas avant un moment, du moins, pas sans avoir un plan préalable. Sa rencontre avec Credence avait remis sa situation en perspective quoi qu’il en soit. Même si elle ne l’avait rencontré que la veille, elle en avait gagné la conviction qu’elle devait l’aider, et si elle devait aller où que ce puisse être, elle s’était jurée de l’emmener avec elle… Mais loin de ces utopies, elle était à présent recroquevillée sur le sol froid et dur de sa cellule, animal en cage que l’on ne traitait pas différent de la bête qu’elle finirait indéniablement par devenir…

Les cris et exclamations du public, partagés entre horreur, satisfaction malsaine et surprise, résonnaient encore désagréablement à son oreille… Même si le spectacle s’était achevé depuis plusieurs minutes, il fallait toujours plus de temps pour que ce bruit déplaisant s’estompe, et le brouhaha des spectateurs qui quittaient le chapiteau pour vaquer de nouveau à leurs occupations n’arrangeait rien. Elle n’attendait plus rien que le retour du silence… Mais elle devait se faire une raison, ce n’était pas pour tout de suite. Elle entendit des bruits de pas se rapprocher de sa cage. Elle s’attendit tout d’abord à revoir Skender, venu lui faire l’une ou l’autre remarque… ou la nourrir, qui sait. Mais ce n’était pas lui, non. Il s’agissait d’un jeune homme aux allures distinguées, le genre qui n’appartenaient pas forcément à la clientèle privilégiée du cirque Arcanus. Il ne lui semblait pas l’avoir déjà vu, mais il est vrai que quand elle montait « sur scène », elle ne prêtait plus garde à ce qui l’entourait. Regarder un seul de ces êtres dans les yeux était pour elle une épreuve par trop compliquée. Elle s’attendait à ce que l’homme passe simplement son chemin, mais non, il s’attarda, et s’adressa directement à elle, avec une sorte de respect auquel elle n’était pas le moins du monde habituée. Elle hocha doucement la tête quand l’homme lui demanda si son nom était bien Nagini. Elle se doutait qu’elle avait eu un « vrai » prénom, un jour, et un nom, aussi… Mais ils ne lui servaient plus à rien, à ce jour. Alors oui, c’était bien Nagini, simplement Nagini.

-Vous n’avez pas le droit d’être ici…, observa-t-elle doucement, d’une voix faible.

Du moins en faisait-elle la supposition. Elle n’avait jamais vu personne s’attarder en coulisse. A moins que cet homme ait payé le prix fort pour lui parler. Qui sait… Elle attisait, de par sa condition, une certaine forme de curiosité malsaine, et elle n’était pas sans le savoir, en effet.

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agini ne fit aucun commentaire quand son interlocuteur lui argua que, en ce qui le concernait, il estimait qu'il pouvait bien se rendre où il voulait sans restriction. C'était peut-être vrai, la maledictus aurait bien du mal à se mettre à sa place. Elle, depuis presque toujours, avait connu une vie faite de barreaux, de règles, de restriction. Contrairement à son interlocuteur, elle n'était à sa place nulle part, pas plus à l'abri de cette cage que dans le monde extérieur où elle avait par plusieurs fois cherché à fuir pour finalement revenir malgré tout à la case départ. Elle n'allait quoi qu'il en soit pas contredire son interlocuteur. S'il devait accuser la fureur de Skender, ce serait son problème, pas le sien à elle. Alors elle n'allait rien ajouter. Et ce n'était pas nécessaire, même, puisque l'homme reprit finalement la parole, pour se présenter et lui apprendre qu'il était un Auror du MACUSA.

Voilà qui avait de quoi aiguiser la curiosité de la jeune femme. Depuis qu'elle "travaillait" pour le cirque Arcanus, Nagini se laissait balloter de pays en pays, au point d'à peine se soucier de ce qui se passait exactement dans l'endroit où elle se trouvait. Mais ici, elle avait fait une exception... parce que le New York magique (et non magique même) était en proie à une crise sans précédent. Les Aurors portaient le même nom partout, mais sans tout ça, Nagini n'aurait peut-être pas su ce qu'était le MACUSA. Est-ce qu'il disait vrai ? Elle n'en était pas vraiment certaine. Il pouvait bien se présenter comme tel pour la mettre en confiance. Et si c'était vrai, est-ce qu'elle risquait quelque chose ? Elle n'était clairement pas ici de manière légale... En fait, elle doutait de pouvoir être où que ce soit de manière légale. Elle n'avait pas de papier d'identité... pas même de nom de famille, on l'autorisait à peine à exister, alors... mais ce n'était pas d'elle qu'il devait être question apparemment... de Skender, plutôt.

Une lueur d'espoir anima le regard de la Maledictus en entendant ces mots. Cet homme enquêtait-il vraiment sur le patron du cirque Arcanus ? Et si tel était le cas, était-ce possible que l'homme finisse par être appréhendé ? Qu'elle soit libérée de cette vie... ? Pour quel avenir, elle n'en savait rien, mais une autre vie tout du moins ? La jeune femme était... intriguée, et puisque de toute évidence, elle n'avait pas grand-chose à perdre dans l'affaire, elle hocha timidement la tête. Elle espérait que les propos qu'il l'inviterait à tenir ne parviendraient pas aux oreilles de son geôlier. Sans quoi, elle n'imaginait pas ce que seraient les conséquences pour elle. Ou plutôt si... elle se l'imaginait, et ne voulait pas voir cette pensée en pratique.

-Qu... Qu'est-ce que vous voulez savoir ?

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agini ne broncha même pas quand son interlocuteur évoqua ses attractions sans chercher à la sortir du lot. C'était ce qu'elle était, elle en avait conscience : un phénomène de foire, un divertissement. Skender s'était appliqué à la déshumaniser tant et tant que c'était devenu... quelque chose d'ancré en elle. Elle ne s'offusquait plus des regards qu'on lui adressait. Elle était une curiosité, un sujet de conversation.

Sa malédiction faisait rire et alimentait les conversations, il n'y avait qu'elle pour vivre avec, et se sentir consumée par ce mal duquel rien ne pouvait la guérir. Alors oui, l'Auror pouvait bien la traiter comme il le voulait, ça lui était égal... ça n'aurait d'importance que si elle réussissait à se libérer. Et à l'heure actuelle, elle ne pensait pas réellement que ce puisse être possible. Elle en caressait le souhait, mais elle était loin de s'imaginer que, prochainement, cela se concrétiserait vraiment. En attendant, elle était ici, face à cet homme indélicat qui semblait avoir renoncé à la considérer comme un être humain à part entière, comme beaucoup d'autres avant lui.

-Tous les contacts de Skender sont louches, observa Nagini.

C'était un fait. Elle n'assistait pas à ses transactions, mais elle se doutait que rien ne se faisait vraiment dans les règles de l'art. Ce n'était pas pour rien si le cirque déménageait si souvent, ce n'était pas seulement dans le but d'attirer de nouveaux publics ou de se renouveler, c'était pour éviter que les autorités viennent fouiner dans leurs affaires, comme c'était le cas en cet instant, donc.

-Mais je ne les connais pas, répondit-elle aussitôt, pour prévenir son interlocuteur qu'il était inutile de lui demander des noms.

Skender faisait ses affaires dans son coin, et il ne partageait certainement pas avec les "employés" de son cirque. Les choses ne marchaient pas comme ça. Ils étaient de la marchandise, on ne partage pas avec sa marchandise. Au mieux, on la recadre quand celle-i commence à faire des siennes.

-Il m'a achetée, c'est tout ce que je sais...

Elle ne savait pas à qui ni combien. Quand c'était arrivé, elle était encore une enfant. Quand on avait appris ce qu'elle était, on avait cherché à mettre la main sur elle, et une fois encore, on l'avait marchandée sans attendre après son opinion. Elle ne se souvenait de rien, elle avait été ballotée d'un pays à l'autre presque toute sa vie, entité négligeable mais au potentiel impressionnant... Quelques secondes de divertissement valait bien une enfance détruite, pas vrai ? Vu sa condition, elle l'aurait sans doute été dans tous les cas... Elle était dangereuse pour les autres, c'était une chance, au fond, qu'on accepte de la nourrir, de la loger, même si c'était dans des conditions très triviales... Et elle n'était pas autorisée à s'en plaindre.

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agini n'aimait vraiment pas la façon que son interlocuteur avait de lui parler, de la questionner. A ce stade, c'était plus un interrogatoire qu'autre chose, d'ailleurs. Elle comprenait bien que l'Auror n'avait pas l'intention de la ménager et attendait juste d'elle qu'elle réponde sagement à ses questions, mais quand bien même elle était habituée à être jaugée sans considération, elle aurait apprécié le minimum syndical de politesse. Enfin, qu'importe, l'homme avait des questions, elle allait y répondre dans la mesure de ses capacités, et ensuite, il s'en irait, voilà tout. Si la moindre des informations qu'elle avait communiquer pouvait éloigner Ethan d'elle et le pousser à mettre Skender derrière les barreaux, elle n'allait pas s'en plaindre.

Quand bien même elle n'était pas convaincue que c'était le but de la manoeuvre. En vérité, elle ne savait absolument pas ce que son interlocuteur attendait exactement de leur conversation. Peut-être le plus simple serait-il de lui poser directement la question, mais elle s'en abstint, faute de questions, elle donna des réponses, rien d'autre. Elle fit doucement non de la tête quand il lui demanda à qui elle avait été achetée. Elle était trop jeune pour s'en souvenir, elle ne connaissait pas le nom de l'homme qui l'avait vendue, et elle avait depuis longtemps oublié son visage. Il était un fantôme de son passé pe reluisant, un parmi tant d'autres. Elle ne reconnaissait, dans son existence, presqu'aucune rencontre positivement significative. Sauf récemment, quand elle avait fait la connaissance de Credence.

-J'étais une enfant, je ne me souviens plus.

C'était un souvenir lointain et éloigné, pas seulement dans le temps mais également dans l'espace. Alors dans tous les cas, elle ne pensait pas que cela intéresserait vraiment son interlocuteur ou l'aiderait dans son enquête. Il avait sans doute besoin d'éléments plus récents, plus tangibles, ce qu'il lui laissa entendre en lui demandant à quel endroit le cirque avait fait halte la dernière fois.

-Chicago, il y a un an à peu près, répondit-elle doucement.

C'était le cas, cela faisait plusieurs années maintenant que le cirque Arcanus sillonnait les Etats-Unis. Skender parlait souvent de retourner en Europe, où ils avaient rencontré un succès certain, mais pour le moment, ses attractions faisaient salle comble, il n'avait donc pas réellement d'intérêt à déménager le cirque. Elle, qu'elle soit ici ou ailleurs, ça ne changeait pas grand-chose pour elle. Où qu'elle soit, où qu'elle aille, et même si elle devait retourner dans son pays natal, elle garderait toujours le sentiment de n'appartenir à aucun endroit, d'être une étrangère. Il était fort à parier que ça ne changerait absolument rien pour elle. Mais peut-être qu'aux yeux d'Ethan, cette information faisait mouche ? Si ça pouvait le dissuader de se montrer plus insistant...

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agini n'était pas à son aise (en même temps, elle l'était rarement). Cet interrogatoire (car à ses yeux, c'est à cela que ressemblait cette conversation qui de toute évidence n'était pas totalement informelle) éveillait en elle deux impressions totalement contradictoires. D'un côté, la froideur et l'indifférence avec lesquelles l'Auror la traitait n'étaient pas différentes du comportement que l'on adoptait bien souvent à son adresse, et c'était quelque chose d'humiliant et de profondément déshumanisant. D'un autre côté, il lui posait tout de même des questions, il l'interrogeait comme il ne le ferait pas avec une créature qui ne serait rien d'autre.

Il admettait ses capacités de jugement et d'observation, il reconnaissait ainsi une partie de son intégrité, de son humanité. Il pouvait reconnaître son discours comme recevable dans le cadre de son enquête, et c'était une bonne chose. Qui sait, il ferait peut-être même tomber Skender ? Certes, Nagini ne savait pas vraiment ce qui se passerait si elle perdait Skender, où elle irait, ce qu'elle deviendrait... Elle savait qu'elle voulait retrouver Credence, elle savait qu'elle ne voudrait pas faire partie du cirque toute sa vie. Mais être mise devant le fait accompli de cette manière serait bien évidemment difficile. Dans tous les cas, elle ne se voyait pas faire autre chose que de répondre docilement aux questions de son interlocuteur. Et quand ce dernier lui tendit la photographie d'une jeune femme, elle songea que ce n'était peut-être pas Skender qui était visé, mais finalement cette jeune femme. Une part d'elle se découvrit déçue, mais elle accepta tout de même de répondre.

-Oui..., dit-elle après avoir observé attentivement la photographie qui lui était montrée. Elle ne voulait pas accuser à tort une innocente, mais elle était sûre de ne pas se tromper, oui, cette jeune femme, elle ne l'avait déjà vue, avoir une conversation animée avec Skender. Ils ont fait affaire plusieurs fois. Elle lui a vendu certaines créatures.

Avait-elle des scrupules à dénoncer cette personne ? Pas vraiment, non. La manière dont les créatures, qu'elles aient une conscience humaine ou pas, étaient traitées au sein du cirque était absolument ignoble, si elle pouvait participer à interrompre ce trafic, même indirectement, alors elle en était contente. Alors non, pas de scrupules, d'autant qu'elle avait le sentiment que la jeune femme, elle, n'avait vraiment aucun scrupule à marchander des êtres vivants, comme si de rien n'était. Cette femme, Milla Holloway, allait peut-être être mise en difficulté, c'était son problème. Nagini, elle, avait les siens problèmes, de projets, et clairement, ils étaient suffisamment lourds et importants pour qu'elle se focalise d'abord dessus. Alors, certes, c'était sans doute égoïste. Mais elle n'avait pas l'âme de se montrer agréable ou généreuse envers toutes les personnes qui avaient fait son malheur. Et elles étaient nombreuses.

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