Dans la Gueule du Grand Méchant Loup {pv. Brivael Sullivan}

Enfin le jeune homme reprend conscience et je souris, ne parlant pas, lui laissant le temps de se recentrer et de se concentrer. Cette pièce, cette maison même, ne doit faire aucun écho dans son esprit. Il n’est jamais venu chez moi et il n’a pas perdu conscience ici. Je lui souris et j’attends que son regard arrive sur moi.

J’ai l’impression qu’il peine à se rappeler de ce qui l’a amené ici dans ce lit. Je sais que sa chute a été rude et il est normal qu’il soit un peu perdu, c’est pourquoi je ne m’inquiète pas tout de suite.

«  Tout va bien Brivael, Monsieur Sullivan. Vous avez fait une mauvaise chute dans la montagne, j’ai dû vous amener chez moi pour vous soigner »

Tout allait bien maintenant en vérité mais il n’était pas passé loin de ne pas se relever. Deux dettes de vie envers le même sorcier, je ne savais même pas s’il y avait déjà eu un précédent mais pour l’heure ce jeune homme devait être à mille lieux de s’en soucier. De même que moi-même ne m’en préoccupait pas vraiment en cet instant.

« De quoi vous souvenez-vous en dernier ? »

Je lui souris et doucement je me lève de mon tabouret pour me rapprocher de sa tête.

« Je sais que je ne suis pas le médecin de nous deux mais je vous ai fait boire une potion pour ressouder les os de votre jambe et une pour fermer vos blessures. Il ne faut pas vous lever encore quelques heures, demain matin vous serez sur pied et nous pourrons reprendre la poudre de cheminette pour rejoindre les autres »

J’avais l’impression de lui parler un peu chinois car il me regardait comme s'il voyait un sombral. J’avais comme le sentiment qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas sans pouvoir mettre le doigt dessus.

« Monsieur Sullivan, quelque chose ne va pas ? Brivael, y-a-t-il un problème ? »

Je ne savais pourquoi mais il semblait plus réceptif quand je mentionnais son prénom que lorsque je disais son nom. La chute semblait l'avoir bien plus affectée que je ne l'avais cru de prime abord.

La situation aurait pu prêter à rire mais moi, en cet instant, elle ne me faisait pas rire. Peut-être quand dans le futur nous pourrions tous deux en plaisanter comme tant de situations après coups, mais le plus dur avant cela était de les vivres. Et malheureusement, comme je venais de lui dire, de nous deux c'était lui le médecin.

J'aurai pu le mener à Saint Mangouste, bien sûr, ou l'équivalent à New York... bien sûr mais toute ma vie j'avais été conditionné à ne pas toujours passer par les canaux légaux si on avait quelque chose à cacher et j'ignorais si c'était le cas du Sieur Sullivan qui se trouvait actuellement sur mon canapé et qui était entré au Canada sans passer par l'immigration... un peu par ma faute, cela il fallait lui accorder. C'était aussi pour cela que je n'avais pas appelé de médicomage d'ici.

«  Non, pas encore du moins »

Malgré la situation, je souris franchement. Brivael Sullivan pouvait bien sembler avoir perdu la mémoire, il n'avait certainement pas perdu le nord car pour la deuxième fois où il se réveillait à côté de moi, il me demandait si nous nous n'étions unis la veille. J'allais finir par me vexer s'il pensait qu'on pouvait m'oublier si facilement... du moins sans sort d'oubliette, il fallait le préciser.

« J'aimerai vous dire que je connais tout de vous, mais malheureusement ce n'est pas le cas. Je vous ai sauvé la vie en montagne à deux reprises lors de vos vacances... Je me demande si elles ne vont pas finir par vous être fatales à ce rythme. Nous étions dans le massif montagneux de l'Altaï en Sibérie, ça ne vous dit vraiment rien ? »

J'ouvris une armoire et je pris une potion contre le mal de tête avant de lui tendre.

« Tenez, buvez ça, ça devrait faire cesser l'oiseau qui tape dans votre tête »

Pour la nausée par contre je ne pouvais pas faire grand chose mais cela pouvait être lié avec sa tête qui tournait, si ce n'était pas le cas... je pourrai toujours lui amener un seau car je n'étais pas certain qu'il ait envie de crapahuter avec sa jambe encore faible. Il devait vraiment se reposer un peu avant de vouloir essayer de se déplacer.

« Il n'y a pas de souci, nous pouvons attendre demain matin avant de bouger. Vous vous sentirez un peu plus en forme j'en suis certain »

Du moins physiquement... pour son esprit, je n'en étais pas aussi sûr. Le choc avait été violent et si les blessures s'étaient résorbées rapidement, je ne savais pas quel effet pouvait avoir eu l'impact sur son cerveau. Je soupirais et m'asseyais sur le lit à ses côtés, étrangement proche de lui. Je ne savais pas vraiment quoi dire pour le rassurer. Comme je le lui avais dit, je ne le connaissais pas vraiment et si je pouvais lui parler de sa famille d'antan, du moins des bribes que je connaissais, je doutais que ça l'intéresse vraiment puisque de lui-même lors de notre rencontre, il n'avait pas abordé le sujet de ses origines.

« De ce que je sais sur vous, vous êtes anglais et vous avez fui votre pays d'origine à cause de quelqu'un. Vous avez choisi la ville de New York pour vivre et vous y êtes médecin. Mais vous étiez tellement un bourreau de travail que votre chef vous a forcé à prendre des congés après un malaise en plein service et... je vous ai trouvé blessé et évanoui dans la neige en Sibérie... Je suis désolé mais... je n'en sais pas vraiment beaucoup plus »

Comme je venais de lui dire, je n'en savais pas beaucoup plus, mais... j'en savais quand même plus que ce que je venais de lui dire. Lui apprendre qu'il aimait les hommes, visiblement je n'en avais pas besoin puisqu'il avait tout de suite pensé que nous avions pu être intimes. Je ne savais si je devais être flatté que même dans l'absence je semble l'intéresser... En fait oui, quelque part, j'étais flatté. J'aurai sans doute pu profiter de lui si je l'avais bien joué mais je n'avais pas trouvé intérêt à lui mentir. Et puis... Les origines Sang Pur de sa mère, sa déchéance d'après les miens d'avoir choisi un sang mêlé, cela avait-il vraiment de l'importance ?

Nos deux épaules entrèrent en contact par inadvertance mais je ne m'écartais pas pour autant de lui. J'imaginais qu'il avait besoin d'être rassuré et si je ne savais si ma présence pouvait le réconforter, j'avais au moins le mérite d'être là.

« Sinon je m'appelle Phineas, Phineas Black »

Je comprends bien qu'il ne veuille pas me retarder mais partir maintenant alors qu'il n'est même pas sur pieds me paraît prématuré. Je me demande si comme il me l'a raconté, je dois faire comme son chef et le sermonner ? Je le regarde. Il me fait penser à certaines jeunes recrues que j'ai eu par le passé à diriger. Toujours à vouloir présumer de ses forces et de transgresser les limites, jusqu'à ce qu'il soit trop tard. Je secoue la tête.

«  Vous êtres trop pressé. Nous partirons demain matin. Tout ce que vous allez réussir si nous partons maintenant, c'est à vous écrouler  »

Je lui fais un petit sourire tandis qu'il absorbe la boisson censée apaiser son mal de tête et ses sens. Je me demande s'il éprouve encore le picotement et la douleur de sa jambe qui se ressoude... La potion est efficace mais en général la douleur est à hauteur de la blessure à réparer et de ce que j'avais cru remarquer, ce n'était pas joli joli.

« Je suis certain que ce n'est que passager. Le choc probablement »

Je n'ose imaginer ce que ce doit être de ne plus se souvenir, de ne pas savoir qui on est, où on va et qu'elle a été notre chemin pour en arriver là. Il doit être complètement perdu et être avec un homme qui plus est qu'il ne reconnaît pas... Cela doit tourner et tourner dans sa tête. Pauvre homme. J'ai tenté de le rassurer mais je sais que se souvenir, cela peut prendre du temps, beaucoup de temps. J'aimerai ne pas être alarmant mais je ne sais si son état ne sera pas définitif.

« Est-ce que vous avez faim ? »

Un moyen de lui changer les idées, de le distraire un peu aussi. Actuellement il ne peut marcher mais cela n'est pas obligé de m'empêcher de cuisiner. Il va cependant devoir rester le temps de son séjour dans ma cave... ce qui lui éviterait sans doute de réaliser qu'il a changé de pays durant son inconscience.

«  Vous ne l'avez pas voulu. Ce n'est pas de votre faute »

Le tenir pour responsable ? Je ne voyais pas l'intérêt. Pour moi le faire le sentir coupable ne changerait pas les choses. Il était vrai cependant qu'il n'avait vraiment pas eu de chance jusqu'à présent, un vrai chat noir. Quoi qu'il avait survécu à deux reprises de deux situations qui aurait pu être mortelles. Au final je ne savais pas s'il n'avait pas justement un peu trop de chance. Il était un peu comme une énigme.

« Je vais vous préparer un petit truc, je suis certain que ça ira déjà mieux après »

Je souris avant de quitter rapidement la pièce pour préparer. Mais préparer quoi ? Je n'en avais aucune idée. Devant partir, je ne débordais pas de denrées périssables à la maison et aller faire les courses en cet instant était parfaitement exclus. Dans une armoire j'avisais de quoi faire de la purée, j'avais encore une bouteille de lait non ouverte et dans mon congélateur je trouvais des saucisses fraiches à dégeler. Ce serait parfait sauf s'il était végétarien... J'espérais que non et je commençais à préparer. Il ne me fallut guère longtemps et je reviens auprès de lui avec deux assiettes, une bouteille d'eau, une bouteille de jus d'orange et deux verres.

« Saucisse, purée, avec de l'eau ou du jus d'orange... J'espère que vous aimerez »

Je souris et tel le maître d'hôtel que je n'étais pas, je fis une petite courbette exagérée avant de poser le plateau sur ses genoux et de prendre ma propre assiette sur les miens.

« Le repas de Monsieur est avancé, j'espère que ce sera au goût de Monsieur. Permettez votre humble serviteur de manger en votre compagnie »

Et j'éclatais de rire. Je ne savais comment il le prendrait, mais moi cela me rendait joyeux. J'espérerais qu'il se détendrait un peu en ma présence et qu'il oublierait un instant qu'il ne savait pas du tout qui il était. Je voulais lui changer les idées, qu'il pense un peu à autre chose, mais j'ignorais si je pourrai y parvenir.

« Mangez tant que c'est chaud Brivael »

Je n'avais pas vraiment envie de continuer à lui donner du Monsieur, je me demandais si ça le dérangerait que je l'appelle désormais par son prénom. Prénom dont il ne s'était même pas souvenu d'ailleurs... Je savais que dans certaines cultures, appeler l'autre par son prénom sans autorisation était d'un irrespect total mais en Angleterre et dans les pays dans lesquels j'avais vécu, les gens n'étaient pas aussi pointilleux, à part bien sûr dans les hauts cercles...

«  Je vous en prie »

Je souris et je commence moi-même à manger afin de ne pas le laisser seul. J'imagine qu'il ne doit pas vraiment envie d'être seul en cet instant alors qu'il ne se souvient de rien et se sent perdu. A moins que ce ne soit le contraire et qu'il me prenne pour son ravisseur ?

Je l'ignore, j'ignore ce qu'il peut bien penser, ce qu'il peut bien se dire de ma personne et de cet endroit. Ici c'est plus un endroit d’appoint, pas une belle chambre d'amis du manoir, pas un salon. Une cave, un endroit atterrissage. J'imagine un peu trop ce qu'il pourrait penser.

« Je suis désolé pour les lieux... puisque vous allez passer la nuit ici, je vais vous faire préparer la chambre d'amis. Vous seriez bien mieux »

* Et surtout vous ne penserez pas être mon prisonnier...*

Par contre il risquait vite de s’apercevoir en remontant dans les parties habitées que nous n'étions ni en Sibérie, ni à New York. Je m'attendais déjà à devoir lui fournir des explications et... Je devais avouer que je n'en avais pas vraiment hâte. Il était tellement plus facile de cacher les choses que de devoir s'expliquer.

Je me demandais quoi lui dire. Il était difficile de faire connaissance avec une personne qui ne savait même plus qui elle était et c'était la première fois que cela m'arrivait. Les gens qui dissimulaient des choses, je savais les faire parler. Mais ceux qui comme lui ne savaient rien ? Je me sentais un peu démunis et c'est pourquoi je me contentais de manger.

« Je ne savais pas ce que vous aimiez alors... Je vous avoue que j'ai fait avec ce que j'ai trouvé ici. Je n'avais pas prévu de repasser par chez moi aujourd'hui. Vous aimez beaucoup les saucisses donc ? »

Je souris et me vient à l'esprit que si j'avais bien compris, ce n'était pas le seul type de saucisse qu'il aimait. Enfin peut-être que de cela il ne se souvenait plus aujourd'hui non plus. De toute manière, je n'avais pas vraiment le droit de lui en faire la réflexion, n'est-ce pas ? Pourtant je n'avais pu m’empêcher de lui poser cette question... comme une perche tendue.

Qu'il ne veuille pas plus me déranger, je pouvais le comprendre, mais de nouveau il me surprenait en me parlant qu'il aurait peut=être voulu un autre corps contre le sien. Parfois les artistocrates aussi se laissaient aller au langage plus crapuleux lors des réceptions, mais cela restait assez épisodiques. La bonne société se targuait de valoir mieux que l'appel de la chair, sans oublier que de ce que j'avais compris, mon jeune ami avait certains penchants que la morale réprouvait et punissait... tout comme les miens. Je me demandais comment il avait fait pour tout se temps se protéger. Il semblait si ouvert pour en parler que cela me surprenait fortement. Le monde sorcier n'était pas beaucoup plus tolérant que le monde moldu à ce sujet, tout au plus de mémoire on ne tuait pas un sorcier pour cela mais on pouvait l'emprisonner ou... le forcer à une union débouchant sur une descendance. Qu'importait pour les grandes familles l'amour tant que la lignée continuait. Je soupirais. Pas contre mon invité, bien sûr. Lui ne pouvait rien de mes pensées qui s'égaraient.

En parlant de pensées qui s'égaraient, je lui avais tendu par mon langage une perche certaine s'il souhaitait plus se confier à moi. Il avait de la chance d'être tombé sur un homme tel que moi qui n'avait aucun intérêt ni aucune envie de le dénoncer, que du contraire. C'était entre autre pour cela que je préférai m'encanailler dans le monde moldu. Il était bien plus facile de faire oublier ses souvenirs d'une nuit à un moldu qu'à un sorcier et surtout... dans le monde moldu je pensais bien plus inaperçu. Dans le monde sorcier ma chevelure était des plus célèbre... la noirceur des Black... même si officiellement je n'en n'étais plus vraiment un puisque j'avais été renié.

«  Elles sont particulièrement juteuses, ces saucisses, je dois dire que je les apprécie autant que vous. Il est assez rare de trouver des gens qui semblent tant apprécier les saucisses »

Le voir rougir et être gêné alors que quelques instants plus tôt il m'avait semblé si ouvert sur le sujet ? J'avoue que cela m'amusait beaucoup et c'était sans nul doute pour cela que je continuais dans cette voix. A pas feutré je le laissais lui aussi s'imaginer des choses à moins qu'il ne fasse pas le lien entre mes paroles et ma propre personne. Je ne savais si parfois il tentait ce genre de jeux avec les mots dans sa vie de tous les jours afin de trouver parfois... un partenaire d'un soir.