Se laisser mener à la baguette // FT. Johannes

La journée avait été longue et plutôt productive. C’était pendant ce genre de journée où Johannes était juste pleinement satisfait de son existence – et en grande partie parce qu’il faisait quand même en sorte de ne pas penser à certaine chose –, qu’il se sentait relativement bien. Bon, évidemment, ça n’avait pas non plus été comme une journée avant l’entrée des enfants de onze ans pour rejoindre l’école de magie, mais mine de rien les changements de baguette avaient quand même lieu toute l’année. Et quand Johannes ne prenait pas la peine de vendre des baguettes, il en fabriquait. Il n’était pas encore arrivé à son but ultime, mais en même temps le sorcier savait bien que ce n’était pas une mince affaire. Il travaillait sur tout cela depuis des années, il avait conscience qu’il avait encore beaucoup de travail, qu’il pouvait encore mettre un long moment avant d’arriver à la perfection. Mais l’homme ne lâchait pas l’affaire, il était bien trop passionné pour ça de toute façon.

Il venait de fermer boutique, et se trouvait dans son atelier qui était dans l’arrière de sa boutique. Il n’avait pas l’intention de rentrer tout de suite, il était fort possible qu’il reste encore de nombreuses heures dans son atelier à travailler. C’était souvent ce qu’il faisait le soir, quand il pouvait être sûr de ne pas être dérangé. Parce qu’il n’y avait aucune raison qu’il soit dérangé. L’homme n’avait aucun rendez-vous et il n’y avait personne pour lui rendre visite. Il allait donc pouvoir travailler tranquille.

Mais ce fut sans compter sur le bruit qui lui fit relever la tête des ingrédients qu’il était en train de préparer pour une prochaine baguette, une femme se trouvait là, le saluant d’un bonsoir. Comment était-elle entrée ? Forcément ce fut la première question qu’il se posa intérieurement, parce qu’il était persuadé qu’il avait bien fermé sa boutique. Il n’y avait onc aucune raison pour qu’elle soit rentrée dans son atelier comme ça… Mais forcément, une fois le choc passé, l’homme attrapa surtout sa baguette dans sa main en prenant la parole.

« Qui êtes-vous ? Qu’est-ce que vous faites là ? »

À choisir, il espérait quand même que cette femme n’allait pas avoir de trop mauvaises intentions le concernant, parce qu’on ne pouvait pas dire qu’il était le plus doué en duel. Si Johannes était très au point dans la fabrication de baguette magique et qu’il savait bien manier la sienne pour les tâches de son travail, ce n’était pas le cas quand il était question de se défendre. Donc oui, vraiment, Johannes espérait qu’elle n’avait pas de trop mauvaises intentions, mais il n’avait pas spécialement envie qu’elle décide de lui voler ses baguettes. C’était la seule chose intéressante dans son atelier et dans sa boutique, et il savait que la revente de baguette au marché noir pouvait être très lucratif. Mais l’homme ne supportait vraiment pas l’idée que ses baguettes puissent être vendu de cette manière qui les dénaturait clairement.

Avoir une parfaite inconnue qui rentre dans votre boutique après la fermeture, forcément ça ne rassure pas. Et quand la jeune femme affirma à Johannes qu’il n’avait pas à s’inquiéter « mon beau », qu’elle n’avait pas l’intention de lui faire de mal, le jeune homme n’était pas forcément plus serein que ça. Il n’avait aucune idée de qui était cette personne, mais il était évident que ses intentions étaient un peu douteuses. En tout cas, le fabricant de baguette ne pouvait pas penser autrement, sinon elle n’aurait pas pris la peine de rentrer dans sa boutique de cette façon. Johannes espérait cependant qu’elle n’allait vraiment pas s’en prendre à lui, parce qu’il était évident qu’il n’était pas dès plus doué pour se défendre. Cela dit, le jeune homme n’avait pas spécialement envie de laisser cette femme lui voler son travail non plus… ce qui était possiblement la raison de sa venue.

Il ne voyait que cela, même si ça pouvait être autre chose, une femme cherchant à lui voler ses baguettes peut-être dans le but de les vendre sur le marché noir ensuite ? Ce qu’il ne pourrait pas accepter, ses baguettes ne méritaient pas un tel sort et il était prêt à les défendre, même si encore une fois il n’était pas le plus doué pour ça. Mais quand l’inconnue reprit la parole, affirmant qu’elle avait besoin « d’une » nouvelle baguette et qu’en prime elle avait de quoi payer, Johannes fut quelque peu surpris. Il ne répondit pas de suite, se contentant d’abord d’observer la jeune femme, suspicieux forcément. Si elle venait ainsi, d’une telle manière, c’était qu’elle ne devait pas pouvoir venir chercher une baguette dans sa boutique d’une manière officielle. Est-ce que c’était une criminelle ? À choisir, Johannes n’avait pas spécialement envie de répondre à sa requête, parce qu’il ne fabriquait pas des baguettes dans le but qu’elle fasse du mal (il laissait ça à Violetta en fait). Mais en même temps… si ce n’était que ça, c’était quand même mieux qu’une femme cherchant à voler tout son travail pour il ne savait quel trafic.

« Ma boutique est fermée là, vous pourriez peut-être repasser demain quand elle sera ouverte. » Décida-t-il de répondre, en aillant conscience que si elle pouvait venir lors des heures d’ouvertures, elle l’aurait fait.

C’était simplement une manière pour lui de lui exprimer qu’il n’aimait pas spécialement vendre des baguettes de cette façon, même si en réalité Johannes était quand même sacrément soulagé d’entendre la jeune femme affirmer qu’elle avait simplement besoin d’une baguette et qu’elle avait de quoi payer. C’était qu’elle devait quand même être un peu honnête. Du moins un minimum, elle n’avait pas l’intention de le voler, c’était une très bonne chose déjà. Même si ça n’arrangeait pas forcément ses affaires non plus, Johannes n’était pas spécialement emballé par l’idée de vendre une baguette à une femme qui ne donnait pas l’air de vivre dans la légalité.

Johannes ne se laissa pas impressionner quand son interlocutrice affirma qu’elle avait vu le panneau à l’entrée. Elle lui précisa que si elle avait décidé de venir maintenant, c’était parce qu’elle ne pouvait pas se pointer comme une fleur aux heures d’ouverture. Le sorcier n’était pas surpris, il l’avait bien compris ça et ça ne lui plaisait pas pour autant. Il avait quand même une certaine réputation à tenir, il ne pouvait pas accepter n’importe qui dans son commerce. Mais la jeune femme n’avait pas l’intention de s’en aller, le fabricant de baguette le remarquait bien, sinon elle aurait peut-être déjà bougé un peu vers la sortie.

L’inconnue reprit la parole, affirmant qu’elle voulait que sa baguette soit de sa création. Johannes fronça des sourcils, ce n’était pas seulement en le brossant dans le sens du poil qu’elle allait parvenir à obtenir ce qu’elle désirait. Elle avait donc entendu tout le bien de son travail, elle avait même entendu des murmures disant qu’il était le meilleur fabricant de baguette d’Amérique. Les propos de la sorcière ne le laissait pas forcément indifférent, forcément il aimait quand même l’idée d’être considéré comme l’un des meilleurs, voir le meilleur tout simplement. Mais ce n’était pas suffisant pour autant.

Cela dit, quand elle affirma qu’elle irait voir la concurrence, s’il n’était pas apte à l’aider, il tiqua un peu plus. Avec une évidence… évidente, ce fut Violetta qui lui vint à l’esprit. Cette femme semblait être justement le genre de cliente pour elle, c’était même étonnant que la sorcière ait décidé de venir chez lui plutôt que de se rendre chez son ex fiancée qui ne se préoccupait pas réellement des personnes à qui elle vendait ses baguettes. Et… en soit, ça lui plaisait bien que cette femme ait préféré venir dans sa boutique, plutôt que de jouer les facilités et d’aller voir Violetta. Même si rien n’enlevait que ce n’était pas ses méthodes.

« Tu ne trouveras rien d’intéressant chez la concurrence. » Lança-t-il, en abandonnant le vouvoiement. Il ne devrait pas s’engouffrer dans un tel jeu, mais… bref, il se laissait un peu manipuler quand même. « Cela dit, il ne suffit pas d’arriver ici et de me faire des flatteries pour obtenir ce qu’on veut. »

C’était bien plaisant d’entendre dire qu’on était le meilleur fabricant de baguette, de dire qu’on voulait absolument que sa baguette soit de son œuvre, mais ça ne faisait pas tout pour obtenir ce qu’on souhaitait. Johannes n’était clairement pas encore décidé sur le fait qu’il puisse accepter d’aider cette sorcière (ou de lui vendre un produit, il ne faisait rien gratuitement c’était son gagne-pain quand même), même s’il laissait encore la porte ouverte. Il devrait renvoyer cette inconnue, ne pas la laisser avoir l’occasion de le convaincre de lui trouver une baguette, mais elle avait déjà réussi à s’engouffrer un peu.

Johannes observa la jeune femme sous ses yeux vider la bourse qu’elle avait à la ceinture, déposant donc clairement une petite fortune. Il y avait au moins de quoi acheter trois baguettes avec cet argent, mais elle souhaitait acheter seulement une seule baguette. Le commerce du fabricant de baguette marchait plutôt bien, il n’avait pas vraiment besoin de cet argent pour survivre, il s’en sortait relativement bien mais… eh bien, c’était quand même difficile de renoncer à une telle somme d’argent. Johannes avait un respect énorme pour sa profession, ça ne lui disait pas vraiment de vendre une baguette à une criminelle et donc d’agir comme certains membres de sa concurrence. Mais… eh bien, c’était de plus en plus difficile de refuser l’offre de la jeune femme.

Surtout que celle-ci ne se contenta pas de parler de l’argent qu’elle allait lui donner, mais précisa qu’en échange elle pouvait mettre ses compétences à son service gratuitement. Le jeune homme était prêt à répondre qu’il était hors de question pour lui de faire affaire à une criminelle comme elle, même lui vendre une baguette au triple de son prix était très limite. Mais elle ajouta un détail, quelque chose qui le poussait à remettre un peu en question sa réponse. Elle pouvait… détruire la fameuse concurrence. Ça n’était clairement pas saint, c’était bas et Johannes méritait mieux que de compter sur une femme comme celle qui se trouvait sous ses yeux pour s’attaquer à sa concurrence. Mais en même temps, l’envie était sacrément tentante.

« Vous avez de bons arguments. » Dit-il dans un premier temps, prenant la peine de peser encore le pour et le contre. L’argent, il pouvait le prendre, en soit c’était son commerce quand même. Et pour le reste. Est-ce qu’il en était au point de tomber aussi bas pour faire du mal à sa concurrence, à l’une de ses concurrences en particulier ? Johannes n’avait pas envie de se dire qu’il en était à ce point, et en même temps il ne pouvait pas s’empêcher d’être tenté par l’idée. Elle ne méritait pas vraiment qu’il se montre bon joueur au vu de la manière dont les choses s’étaient passés. Alors… « Ça dépend… » Ajouta-t-il, se demandant vraiment s’il faisait bien de prendre ce chemin. « Vous avez l’intention de vous y prendre comment pour… détruire ma concurrence ? »

Et quand il pensait à concurrence, évidemment, il n’était question que de l’une des fabricantes de baguette du pays. Les autres, il faisait largement avec, il n’avait pas besoin qu’on fasse quoi que ce soit contre eux, contrairement à Violetta. C’était bas, il valait mieux que cela, mais il suffisait qu’il pense à tout ce qu’elle lui avait pris pour qu’il soit convaincu qu’il devait faire quelque chose pour détruire son commerce, pour l’empêcher de continuer sur cette voie. Sa voie.

Cette conversation ne devrait même pas avoir lieu. Johannes se targuait d’être honnête, de toujours faire les choses dans l’ordre, mais présentement il était pourtant bel et bien en train de demander à une personne ce qu’elle était capable de faire pour détruire sa concurrence. Alors qu’en réalité, le fabriquant de baguette n’aurait rien à y gagner. Elle souhaitait ses services, elle proposait de lui payer le triple de son tarif habituel, l’homme n’avait qu’à prendre l’argent tout simplement. Sauf qu’il ne pouvait pas s’empêcher d’être curieux sur ce qu’elle pouvait proposer autrement…

Son interlocutrice avait des propositions à revendre en tout cas, visiblement, puisqu’elle lui affirma qu’il y avait de nombreuses manières en fonction de ce qu’il préférait. La première chose qu’elle proposa était la méthode plus que radicale, mais ce n’était même pas envisageable. Non… évidemment que non Johannes n’aurait aucune envie d’arriver à de telles extrémité. Le fabriquant de baguette ne pouvait pas nier que par moment, il avait peut-être… rapidement, souhaitait qu’elle disparaisse complètement, mais pas comme ça, évidemment que non. Mais il y avait d’autres méthodes, concernant la réputation par exemple, mais ça ne changerait rien (Eleanora savait évidemment parfaitement de qui il avait comme cible en tête, Johannes était un livre ouvert).

Avec de bonnes informations aux bonnes personnes, l’envoyer en prison… ou brutalement, brûler tout. Johannes n’en revenait pas d’écouter ce que son interlocutrice lui disait et de réellement peser le pour et le contre. Il n’avait pas besoin d’arriver à de telles méthodes, évidemment que non, il avait sa réputation, il avait sa clientèle, il avait sa fierté pour lui. Il était digne de son travail lui, il ne l’avait volé à personne, il… Johannes garda le silence pendant un long moment, son regard perdu dans le vide. Pouvait-il réellement arriver à de tels extrémités ? Est-ce que ce n’était pas tout ce qu’elle méritait après tout ? Avait-il vraiment besoin de faire ça ?

« Autant y aller directement et tout brûler. » Répondit-il, sans se reconnaître en disant ça. Il enchaina cependant rapidement. « Mais sans aucune victime, que des dommages matériels. »

C’était une très mauvaise idée et ça ne lui apporterait rien, mais la tentation était beaucoup trop grande pour qu’il ne la prenne pas. Il suffisait qu’il pense à la boutique de Violetta, à tout ce qu’il avait perdu, à tout le mal qu’il ressentait encore aujourd’hui à cause d’elle pour se dire que c’était peut-être une solution. Au moins, ça règlerait le souci de la concurrence.

« C’est possible pour toi ? » Oui, il était réellement en train de le faire. Alors qu’il devrait juste se contenter de prendre la petite fortune qu’elle avait déposé devant lui, c’était largement suffisant pour payer la baguette qu’elle voulait.