Le destin fait parfois bien les choses. (Eleanora)

J'ai mis un certain temps avant de pouvoir sortir de l'appartement, avec une tenue que je trouvais correcte. Que Isobel la sainte ne devait pas trouver correct de son côté évidemment, mais je n'en avais que faire. Elle pouvait bien penser ce qu'elle voulait, cette robe était bien plus belle avec mais quelques améliorations. Je n'avais pas eu le choix de toute façon, toute les robes dans le placard étaient bien trop sage à mes yeux. J'avais donc pris la peine d'en améliorer une, comme souvent, à coup de ciseau. Ce n'était peut être pas parfait, mais en même temps c'était bien mieux que la robe de base. Isobel n'avait définitivement aucun goût pour la mode. D'accord, je n'avais que faire de la mode, la seule chose qui m'intéressait c'était d'être à l'aise et de laisser un peu de mon corps se découvrir. Il y en avait assez des robes trop sages, trop longues, trop couverte. Même si, évidemment, en plein hiver je ne pouvais pas envisager de trop me découvrir quand même.

J'étais donc de sortie, avec la ferme intention de profiter du temps qui m'était accordé, et que je savais malheureusement trop limité. Contrairement à ce que je voulais d'ailleurs, mais ce n'était pas comme si j'avais toutes les clefs en main. Enfin pour le moment, c'était moi à bord du navire et je n'avais pas l'intention de me retenir de m'amuser comme il se devait. Même si, j'avais surtout une furieuse envie de fumer. Une mauvaise habitude sans doute, je ne savais que trop bien ce que Isobel penserait de tout cela, mais ce qu'elle ignorait ne pouvait pas lui faire du mal. Et au pire, on ne risquait rien pas vrai ? J'aimais ça moi, mais dès que je cachais des cigarettes dans l'appartement, elle finissait par tomber dessus et les jeter. Autant dire que je n'étais jamais bien avancé. Tant pis, je trouvais toujours un moyen de me débrouiller. Et quand mon regard se posa sur une femme que je croisais dans la rue froide de ce début de nuit, je ne me retint pas de m'approcher d'elle. Sans savoir vraiment pourquoi, cette femme m'inspirait un bon sentiment. Je ne pouvais pas du tout dire pourquoi, mais en même temps je ne posait pas réellement la question, je n'avais pas besoin de ça. Si je devais commencer à me poser des questions à chaque fois que j'avais envie de faire quelque chose, je passerais ma vie à ne jamais rien faire (et on savait bien que ma vie n'était pas réellement complète, que je ne pouvais pas me permettre de me dire que je le ferais le lendemain). Et je n'aimais pas ne rien faire.

« Salut. » Dit-elle en s'approchant de la jeune femme en question, sans se soucier de se montrer trop familière ou non. « Tu aurais une cigarette ? »

Je n’ai évidemment aucune idée de qui est la jeune femme que je viens d’aborder. Au fond, je ne sais même pas pourquoi j’ai décidé de m’approcher d’elle spécifiquement, mais je l’avais fais. Sans doute parce qu’il y avait quelque chose qui me plaisait chez elle, même si je ne pouvais pas le percevoir immédiatement. Sans me douter que nous avions de bonne raison de s’entendre. Dans tous les cas, je ne me pose pas de question, ce n’est pas ma façon de vivre. J’agis et ensuite je vois ce que je peux faire. Là, j’avais envie d’aborder la jeune femme en question, alors je le faisais sans passer mon temps à me demander si c’était une bonne chose ou non. Dans tous les cas, j’avais plus envie de considérer que ça ne pouvait pas être quelque chose de mal.

Je ne me doute en tout cas pas une seule seconde qu’outre le fait que cette jeune femme n’appartient pas du tout au même monde que moi, elle a surtout de bonne raison de se méfier de moi et de ma manière de l’aborder. Je ne risque pas de m’en rendre compte de toute façon, puisqu’elle fouille dans son sac afin d’en tirer un paquet de cigarette. Autant dire que ça semblait gagner. Cela dit, cigarette ou pas, j’ai surtout envie de parler à cette femme. Je ne me retins pas d’afficher un sourire quand elle me demanda ce que je pouvais lui donner en échange, elle me plaisait encore plus.

« Je pourrais me contenter de te donner un peu de monnaie en échange de ce service. » Mais au fond, cette monnaie aurait pu me servir également pour payer un paquet de cigarette moi même. Le souci, c’était que je ne terminais souvent jamais mes paquets et que Isobel avait bien trop l’habitude de les jeter avant que je ne reviennes. Et puis, taxer des clope, ça pouvait quand même permettre de faire des rencontres. « Mais je trouve ça super impersonnelle. » Quand bien même, nous nous connaissons évidemment pas. Mais cette demande de cigarette me donnait dans tous les cas bien envie de connaître un peu plus mon interlocutrice, encore une fois sans avoir vraiment de raison pour cela. Je me contentais simplement d’agir à l’instinct et j’étais assez d’avis que jusqu’à présent, ça me permettait de m’en sortir pas trop mal. En même temps, ce n’était pas réellement moi qui « subissait » les conséquences de mes actes. Mais encore une fois, ce n’était pas comme si cela me préoccupait réellement. « Alors, je pourrais très bien t’inviter à boire un verre avec moi si tu veux. »

Et j’y vais au culot, j’en ai bien conscience. Est-ce que cette fille serait du genre à suivre une parfaite inconnue dans un bar pour boire un verre ? Nous serions des hommes, la question se poserait moins sans doute. Mais moi, je n’avais aucune envie de me préoccuper de mon genre, je faisais ce que je voulais, quand je le voulais.

Offrir à une parfaite inconnue de boire un verre en échange d’une « simple » cigarette, ça pouvait sembler trop… mais j’aimais vraiment bien l’idée. Je ne connaissais absolument pas la jeune femme sous mes yeux, je n’avais aucune idée de qui elle était et en même temps… sans trop savoir pourquoi, je ne peux pas m’empêcher de lui faire cette proposition. Peut-être parce qu’elle m’a demandé ce qu’elle pouvait obtenir en échange de cette cigarette, ça m’avait poussé à lui faire une telle proposition. Dans tous les cas, rien ne pouvait garantir qu’elle allait accepte ou non, je tentais le tout pour le tout et je verrais bien. Je n’étais pas du genre à me prendre le chou en même temps.

En tout cas, visiblement, la jeune femme accepta en affirmant que ça semblait être un marché honnête. C’était honnête oui, dans le sens où un verre valait bien mieux qu’une simple cigarette, sans aucun doute. Mais en même temps, je dois bien avouer que maintenant, la cigarette était un peu le cadet de mes soucis, quand bien même j’apprécie tout de même de la voir sortir l’une des cigarettes de son paquet et me la tendre. Je la porte à mes lèvres et laisse Eleanora m’aider à l’allumer, tout en tirant une première taf dessus. Et je ne manque pas d’afficher un sourire quand elle m’affirme me suivre.

Ça tombait bien, je connaissais l’endroit parfait. Bon, ce n’était clairement pas un endroit très « fréquentable », mais quelque chose me dit que ce n’est pas un souci pour mon interlocutrice. Dans tous les cas, je préfère largement me retrouver dans un endroit un peu mal famé, mais avec l’assurance de pouvoir consommer une bonne boisson, et surtout la possibilité de ne croiser personne que Isobel connaisse. Ce n’était pas non plus comme si sa colocataire connaissait énormément de monde, mais ça arrivait quand même qu’elle croise certaine de ses connaissances.

« Suis-moi. » Répondis-je simplement toujours avec un large sourire, tout en faisant signe à la jeune femme de la suivre. Si elle venait d’accepte de boire un verre avec moi, c’était qu’elle n’avait pas froid aux yeux. Ce ne fut pas long avant d’arriver dans le bar en question, dans lequel on accédait par une porte un peu cachée, histoire que le premier venu ne puisse pas s’y rendre. Je jetai la cigarette généreusement offerte par mon interlocutrice, maintenant qu’elle était terminée, avant de rentrer dans l’établissement. Ce dernier était presque vide, ce qui me convenait parfaitement. Si on pouvait ne pas être dérangée, c’était d’autant mieux. Une fois installées au comptoir, je commande un whiskey, le genre de boisson que je sais qu’Isobel n’aime pas boire – trop fort pour elle… –, avant de retourner mon attention sur mon interlocutrice. « En fait, je m’appelle Pearl. »

Autant que je me présente quand même non ? Puisqu’on était là pour partager un verre, autant qu’elle sache comment je m’appelle.

Après m'être présentée, la jeune femme sous mes yeux se présenta à son tour. Elle s'appelait donc Eleanora. Je trouvais que ce prénom convenait pas mal à mon interlocutrice. En tout cas, c'était un prénom que je trouvais vraiment sympa, même si en soit ça n'allait pas changer grand chose non plus. Qu'elle s'appelle Eleanora ou Plectrude, ça ne changeait pas le fait que je trouvais la compagnie de mon interlocutrice vraiment agréable. Même si je ne la connaissaient évidemment pas du tout, que je n'avais aucune idée de qui elle était. Et d'ailleurs j'étais bien loin d'imaginer ce qu'elle était tellement. Mais justement j'avais bien envie d'apprendre à la connaître un peu plus, c'était l'occasion en cet instant précis alors qu'on partageait un verre. D'ailleurs nous avons les mêmes goûts puisqu'elle a commandé la même chose que moi.

Une fois que nous eûmes nos verres, je ne tardai pas à le porter à mes lèvres, buvant une longue gorgée du liquide ambré. Je me retint d'afficher une grimace alors que le liquide brûlait ma gorge en passant. Ce n'était pas toujours agréable la première gorgée, mais ça faisait du bien, ça réchauffait. Eleanora ne tarda pas à reprendre la parole pour me demander de que je faisais, quand je ne prenais pas la peine d'aborder les inconnues dans la rue et de les entraîner boire un verre. J'affichai un sourire, appréciant sa remarque, mais ne sachant pas tellement répondre à la question de la jeune femme. Oh, il y avait des choses à dire sur moi, mais c'était quand même un peu complexe. Et dans tous les cas, je ne pouvais pas tout dire.

« Disons que je profite pleinement de ma vie.  »

Et c'était le cas, je profitaient pleinement de ma vie. En même temps, je n'avais pas toujours en main la situation, alors forcément quand je l'ai j'en profite un maximum. Même si c'était toujours beaucoup trop court à mon goût. Malheureusement, je n'avais pas vraiment le choix.

« Je suis… Orpheline.  » Décidai-je à en dire un peu plus, même si forcément je n'étais pas toujours dans la strictes vérités. Je n'avais pas spécialement envie de mentir à mon interlocutrice, mais je n'avais pas non plus l'intention de tout dire. « Alors, je profite de ce que j'ai en réserve pour juste me laisser porter par la vie.  » Et mine de rien, c'est une chose que je sais bien faire.

En même temps, ma colocataire était un peu plus réservée et prudente sur ses finances, donc je pouvais me permettre de profiter.

« Et toi alors Eleanora ?  » Repris-je après avoir de nouveau bu une gorgée de mon verre. « Raconte moi plus de chose sur toi.  »

Ou quoi que ce soit sans tous les cas, ça sera plus que ce que je ne savais pour le moment, et que n'espérais bien voir changer.

Eleanora m’apprit être orpheline également. Ce n’était pas grand-chose, mais j’aimais bien l’idée qu’on puisse avoir des points communs toutes les deux. On ne se connaissait pas du tout, on ne savait rien l’une de l’autre, mais c’était un peu le but de ce moment, de ce verre que nous partagions toutes les deux. J’étais curieux en tout cas d’en découvrir plus sur mon interlocutrice, il y avait réellement quelque chose qui m’intriguait chez elle. L’avantage, c’était qu’elle n’était pas avare en discours et continua de me parler un peu plus d’elle-même. C’était quelque chose que j’appréciais, même si de mon côté on ne pouvait pas réellement dire que j’avais dis beaucoup de chose à mon sujet. Mais justement, j’avais cette habitude d’être discrète et j’avais besoin que les autres soient vraiment dignes de confiance pour parler.

Elle m’apprit donc qu’elle avait un père comme sombre connard qui s’était donc barré quand elle n’était qu’une gamine, qu’elle avait une mère en taule… et que visiblement c’était de famille puisqu’elle sortait tout juste de prison. Plus le temps passait, plus je ne pouvais pas m’empêcher de trouver cette jeune femme particulièrement intéressante. Quand elle précisa qu’elle savait ce que c’était de ne pas être libre – et clairement, c’était le cas –, qu’elle profitait donc de cette liberté, je ne pouvais qu’approuver. Je n’avais aucune idée de ce que cela faisait d’être en prison, d’être enfermée physiquement dans une cellule, mais j’avais une idée bien précise de ce que ça faisait d’être enfermée. Je l’étais en quelque sorte, enfermée dans un corps qui ne m’appartenait pas entièrement.

« Tu sais ce qu’on dit ? La jeunesse est dans la tête. » Dis-je pour répondre à mon interlocutrice quand elle affirma qu’elle faisait partie de la jeunesse dépravée que les puritains avaient en horreurs. C’était des mots que j’appréciais vraiment d’entendre. Parce que le côté rebelle de cette fille m’enchantait sincèrement. « Tu ne me donnes vraiment pas l’impression d’être vieille. » Elle l’était peut-être, je ne pouvais pas réellement le savoir, puisque je ne connaissais pas son âge. Cela dit ce n’était vraiment pas une impression que j’avais, je me contentais de dire ce que je pensais. « Je n’ai pas eu le malheur de connaître l’enfermement en prison mais… » J’hésite un instant avant de reprendre. « Mais j’ai connu une sorte d’enfermement, alors je peux parfaitement comprendre ce que tu as vécu. »

Je ne prétendrais pas que je pouvais réellement me mettre à sa place, je n’avais pas connu la prison. Mais être enfermée sans avoir la possibilité d’être libre de ses gestes, de sa vie, de ses désirs même en un sens, ça c’était quelque chose que je connaissais bien.

« C’est pour ça que j’ai tendance à avoir juste envie de tout faire ce qui me passe par la tête. »

Sans me préoccuper de ce qui pouvait bien arriver, des conséquences. Ce n’était pas vraiment moi qui les payait dans tous les cas.

Je parle beaucoup trop sans doute, j’en dis beaucoup trop sur moi. Mais en même temps, je ne me questionne pas vraiment sur le fait que ça soit une bonne ou une mauvaise chose. Si je devais constamment me demander si telle ou telle actions étaient bonnes ou mauvaises, je ne m’en sortirais jamais et je ne ferais jamais rien de ma vie. Or, j’aime pouvoir faire un tas de chose dans ma vie. Je suis inconséquente, parce que le plus souvent, j’ai la chance de ne pas avoir besoin de payer les conséquences de mes actes. Je ne sais d’ailleurs pas toujours quel drame j’ai bien pu causer, en agissant d’une telle ou telle façon.

Eleanora me demanda alors quel genre d’enfermement j’ai connu. Je ne peux pas forcément l’exprimer simplement avec des mots, c’est beaucoup trop complexe et même moi j’ai un peu de mal à toujours comprendre. Cela dit, je ne vois pas ce qui me retiendrait d’essayer d’en dire un peu plus. La curiosité de mon interlocutrice me plait en tout cas, mais il n’y a pas que ça qui me plait chez elle en même temps.

« Un enfermement d’esprit je dirais. » Je réponds, en sachant parfaitement qu’il y a une chance qu’elle ne comprenne pas réellement où je souhaite en venir. « On a essayé de me… formater à une image. On m’a bridé, on m’a forcé à agir d’une certaine façon. Alors un jour j’ai juste eu envie de m’évader, de prendre enfin les choses en main et j’ai dû batailler pour ça, mais j’y suis arrivée. »

C’était un résumé plutôt correct de ma situation. Ça n’explique pas réellement ce que je suis et surtout ce que je dois faire pour batailler et obtenir enfin la possibilité d’agir comme je l’envie, mais tout cela est beaucoup trop compliqué pour que je puisse réellement l’exprimer. Je ne parviendrais pas à trouver les mots de toute façon.

« Ma vie est un combat constant pour que je puisse faire les choses comme je l’entends. Alors je savoure dès que je peux le faire. » J’ajoute en affichant un sourire. « Et mon temps est toujours beaucoup trop limité. »

C’est le drame de ma vie, il y a toujours un moment où je me retrouve à être enfermé de nouveau dans un placard, attendant gentiment de pouvoir enfin avoir les choses en main et pouvoir de nouveau vivre ma vie. Alors ce n’était pas une prison physique comme celle que mon interlocutrice avait connu, mais en théorie ça y ressemblait quand même pas mal. J’ai constamment ce sentiment d’enfermement et d’étouffement, cette peur de ne pas pouvoir revenir un jour. Je finis toujours par revenir, je suis bien trop têtue pour que ça soit autrement, mais parfois ça pouvait prendre beaucoup plus de temps que prévu. Et je suis fatiguée de devoir à longueur de temps me battre pour exister. Si seulement je pouvais juste prendre… tout le contrôle.

Je ne suis pas spécialement étonnée d’entendre mon interlocutrice affirmer qu’elle n’était pas sûre de tout saisir. Moi-même je ne parviens pas forcément à tout saisir de ma vie, de ce que je suis, de ce que j’ai même envie au final. Enfin, si, il y a une chose que j’ai envie, avoir la vie que je souhaite et pouvoir avoir entièrement le contrôle sans devoir constamment me mettre de côté. Comme si j’étais l’autre, alors que j’avais envie d’être la seule et unique. Eleanora me demanda pourquoi mon temps était limité, ce qui me retenait d’agir constamment comme je le voudrais. La question est simple en soit, mais la réponse ne l’est pas vraiment. Comment expliquer ce que je vis ? Ce que je ressens ? Je crois qu’il n’y a aucune façon d’expliquer ce que je suis. Je ne prétendrais pas que je suis une mauvaise passe, que je suis une mauvaise graine. Que je ne suis que l’autre de Isobel, que j’apparais quand son humeur et changeante comme quand les femmes ont leur menstruation et change de personnalité… non, je suis moi et uniquement moi, sauf que ce n’est pas vraiment si facile de l’expliquer.

Est-ce que j’ai vraiment envie de rentrer dans les détails avec la jeune femme sous mes yeux ? Je me sens en confiance avec elle, sinon je n’aurais pas déjà dit autant de chose à mon sujet que je ne l’ai fait. Je n’ai aucune idée du pourquoi et du comment, mais j’apprécie énormément sa compagnie et j’ai comme le sentiment qu’elle serait capable de me comprendre en partie. Alors, je peux très bien décider de lui donner des détails et de lui dire toute la vérité. Mais cela ne ferait que me réduire à un rôle que je n’ai pas envie d’avoir. En fait, j’ai envie d’être entièrement moi et entièrement libre en compagnie de Eleanora.

« Je dois… constamment revenir à la vie rangée et droite que j’ai au quotidien. » Répondis-je donc, en décidant de ne pas préciser plus les choses. Je ne veux pas parler d’elle, je voudrais qu’elle meure et me laisse enfin tranquille. Cela dit, j'ai conscience que je ne réponds absolument pas à la question de mon interlocutrice, je ne lui dis pas pourquoi je ne suis pas libre, ce qui me retient de l'être. « C'est... l'héritage de ma famille, je n'arrive pas entièrement à m'en défaire. Tu me verrais quand je… vis normalement, tu serais incapable de me reconnaitre. » Et moi de même d’ailleurs. « Mais j’en ai assez de tout ça, j’ai envie de juste pouvoir tout décider par moi-même et enfin avoir le contrôle total. »

Mais depuis le temps que je me bats pour avoir ce contrôle, j’ai bien conscience que ce n’est pas aussi simple que ça. Sinon, j’aurais déjà fait de ma vie tout ce que j’ai envie qu’elle soit. Même si au moins, j’ai l’avantage de ne pas payer entièrement les conséquences de mes actes et au vu de ce dont je suis capable de faire, ce n’est pas plus mal. Cela dit, peut-être que je prendrais plus de précaution si j’avais tout le temps l’assurance de vivre ma vie.

J’ai conscience que mes explications ne sont pas très claires, mais je ne peux pas me montrer plus explicite non plus. Cela ne vient en aucun cas de Eleanora, avec qui je me sens en confiance, comme ça m’arrive peu souvent. La discussion avec la jeune femme est facile, comme si elle était en partie capable de comprendre ce que je ressentais, comme si nous avions des choses en communs. Mais même si nous discutons facilement, je me doute qu’en lui parlant plus précisément de ma situation, elle aura bien du mal à le comprendre et sans doute encore plus de mal à l’accepter. Je ne comprends pas moi-même réellement ce que je suis, et comment les choses se passe dans la tête d’Isobel. À choisir, je n’ai aucune envie de faire fuir la femme sous mes yeux, j’apprécie trop ce moment pour le gâcher entièrement.

Alors forcément, Eleanora m’apporte des solutions qui semblent simple à suivre, mais que je ne peux malheureusement pas mettre en pratique. Si j’ai envie de prendre le contrôle, j’envoie tout balader et je vis ma vie comme je veux la mener. J’aimerai tellement pouvoir faire ça, j’aimerai pouvoir suivre les conseils de mon interlocutrice. Isobel deviendrait dingue – plus que ce qu’elle n’est déjà –, mais j’adorerai prendre le contrôle entièrement. Au moins, nous serions plus heureuses à mes yeux, c’est évident. Abandonner le paquet de fric, être maudit sur des dizaines de génération… si je pouvais réellement abandonner tout ça et prendre le contrôle. Mais ça ne sert à rien que j’épilogue là-dessus avec Eleanora, il faudrait que je me montre plus explicite que je n’ai été avec elle, et je n’ai pas envie d’en arriver là. Pas encore, peut-être qu’un jour je le ferais, mais pas là non.

« Mais comment tu y vie du coup avec cette liberté ? » Demandai-je, pour rebondir sur ses paroles sans forcément se pencher son mon incapacité à prendre le contrôle de ma propre existence, tel l’animal en cage que je suis. « D’amour et d’eau fraiche ? »

Ça c’était histoire d’en apprendre encore un peu plus sur elle. Ça ne me dérange pas de parler de moi, mais il faut reconnaître qu’on fait rapidement le tour de la vie de Pearl quand on évite de parler de son homologue Isobel. J’aime assez me concentrer sur la liberté d’Eleanora, de la vie qu’elle mène et qui me donne bien envie de rêver un peu. Oh, elle n’a clairement pas eu une vie facile, mais qui a réellement une vie facile en ce bas monde ? Il y a simplement ceux qui parviennent à s’en sortir mieux, et à vivre avec ce qu’on leur offre.

De ce que j’ai cru comprendre, Eleanora n’a pas d’attache, mais je ne peux pas m’empêcher d’être curieuse quand même. Comment fait-elle pour gagner sa vie ? A-t-elle quelqu’un dans sa vie ? Ça ne me regarde pas, mais je ne vois pas le mal à être curieuse.