A comme Association | Adalbert

L

ally Hicks était une femme qui avait besoin de défis constants pour s’épanouir. Il lui était inconcevable de se reposer sur ses acquis, de rester en retrait du progrès. Elle avait besoin d’en faire part, d’être active et toujours de relever des défis. S’ils ne venaient pas à elle, elles les créaient toute seule, de nouveaux défis à relever, expériences à réaliser, sortilèges à inventer… Elle avait toujours connu ce goût de l’aventure qui n’avait fait qu’être renforcé à l’extrême par sa vie de briseuse de sort internationale… Alors même après quelques années, elle arrivait difficilement s’habituer à son nouveau rythme.

Être professeur était, bien sûr, un défi. Moins dangereux que ceux qu’elle avait pu relever dans le passé, mais tout aussi, voire plus, redoutable. Or cela ne suffisait pas. Cela ne suffisait jamais. Elle avait continué d’écrire, d’étudier dans son temps libre, de chercher à résoudre tous les mystères de la magie… Et après la mort récente de son petit frère, tout s’était accéléré. Elle avait dépoussiéré un vieux projet gardé bien au chaud dans un coin de son coffre mental, fait quelques recherches pour se préparer… Puis elle avait écrit une lettre à Adalbert Waffling, théoricien et écrivain qui se faisait de plus en plus connaître. Cela faisait un moment, qu’elle songeait à une collaboration avec le sorcier. Elle aimait sa manière de penser, elle aimait les échanges foisonnant d’idées brillantes qu’ils avaient échangés. Il était toujours épanouissant de pouvoir discuter avec quelqu’un qui fonctionnait de la même manière, qui était nourri par les même aspirations de connaissances et de résolutions d’intrigues. Adalbert était un homme intéressant et si Eulalie travaillait majoritairement solo, elle pensait avoir besoin de lui pour mener à bien ce projet… Et en profiter pour étudier le personnage et s’assurer qu’il était bien fait pour rejoindre la société secrète des plus grands savants… Elle pensait qu’il en avait le potentiel et n’avait plus qu’à la confirmer définitivement.

La sorcière entre dans le café quelques minutes avant l’heure du rendez-vous. Elle venait directement d’Ilvermorny : même si les élèves n’avaient pas cours elle avait dû corriger des copies et revoir quelques plans de cours pour les premières années. Ce qui ne l’avait pas empêché de vérifié qu’elle n’avait rien oublié et d’organiser ses notes.
Son regard balaie la salle pour trouver la petite table qu’elle avait réservé… Qui était déjà occupée par Adalbert. Elle passe commande auprès d’une serveuse en passant et s’assoit face à l’homme qu’elle avait invité en des termes énigmatiques qui devaient certainement l’intriguer.

« Que pensez-vous de la magie dite « primitive », Adalbert ? » demande-t-elle en guise de salutations, regard intense du fait du projet passionnant qui les attendait. « magie primitive », expression utilisée communément pour qualifier la magie sans baguette magique, qui avait régnée dans le monde depuis la nuit des temps et encore aujourd’hui bien que beaucoup, beaucoup moins. Une expression qu’elle détestait, depuis ses voyages et la réalisation qu’il n’y avait rien de vraiment primitif dans cette forme de magie. L'attente de cette entretient l'avait gardée éveillée depuis deux jours, l'impatience et l'excitation rongeait ses os. C'était un grand projet, même si le sujet avait déjà été abordé dans l'histoire sorcière, elle comptait bien pousser les choses encore plus loin.

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l n'avait fallu à Adalbert que quelques minutes pour se décider et répondre favorablement à l'invitation d'Eulalie Hicks. Les décisions prises précipitamment n'étaient pourtant pas son fort, et loin d'être sa marque de fabrique. Adalbert avait bien plus souvent tendance à analyser, décortiquer, envisager sous tous les angles puis, enfin, proposer une réponse bien souvent nuancée, mais il pouvait parfois faire quelques entorses à ses propres habitudes. Certaines personnes méritaient qu'il en face. Eulalie Hicks, sans l'ombre d'un doute, en était.

Cela faisait un moment, maintenant, que tous deux échangeaient et correspondaient de façon régulière. Adalbert n'avait pas mis longtemps à reconnaître chez cette femme, en plus d'un génie remarquable, un tempérament très similaire au sien, et qui les rendait finalement très compatibles. Il pouvait difficilement, par conséquent, refuser de la rencontrer alors que cette dernière lui faisait miroiter un projeter de collaboration. Certes, Adalbert se sentait toujours plus à l'aise avec le travail solitaire, qui ne lui imposait que les règles qu'il se fixait à lui-même, mais il ne voyait pas d'inconvénient à faire une exception pour Eulalie. Pour cause, il savait qu'elle fonctionnait de la même manière, et il avait tout autant conscience du fait que ce n'était qu'en confrontant ses réflexions à d'autres que l'on aboutissait à des résultats que l'on puisse réellement estimer dignes d'intérêt.

Curieux au possible, sans la moindre idée de ce que la sorcière avait précisément à l'esprit, le théoricien de la magie s'était donc rendu dans le café magique suggéré par sa correspondante. Il était en avance, trop en avance. C'était presque toujours le cas. A force de vouloir aller au-devant de tout, on ne pouvait même pas le considérer comme ponctuel. Seulement comme "en avance perpétuelle". Qu'importe, l'attente ne le dérangeait pas, il en avait profité pour s'installer, se commander un café et éplucher l'ouvrage qui sollicitait dernièrement son attention, et qu'il recouvrait minutieusement de notes au fil de sa lecture, avec tant d'inspiration que les pages de l'ouvrage en devenait noir et qu'il devenait difficle de distinguer le texte d'origine de toutes ses anotations.

Il ne leva les yeux que lorsqu'il entendit la voix d'Eulalie, qu'il n'avait vu ni entrer, ni s'approcher, et qui en guise de salutation, choisit directement d'aborder avec lui ce qui devrait être le sujet du jour. Il devrait peut-être lui reprocher de ne pas passer par les formules d'usage, mais en vérité, il appréciait qu'elle procède ainsi. Pas de temps à perdre. Ils étaient ici sur le sujet précis et celui qu'elle choisissait d'aborder était parmi ceux qui passionnaient le plus l'écrivain.

-Eh bien, tout dépend. Parle-t-on de ceux qui la pratiquent ? De ses limites ? De son application ? Ou de sa nature ? C'était pour lui aussi une manière de la saluer en retour. C'est donc le projet d'étude sur lequel vous souhaitez que nous nous penchions ? C'est plutôt ambitieux, je dois dire.

Et ce n'était pas un reproche. Au contraire, rien ne plaisait plus à Adalbert que les projets les plus ambitieux possibles, ceux qui exigeaient de dépasser les frontières de connaissances déjà acquises.

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S'

il y avait bien une chose en ce bas monde qu'il serait clairement et définitivement difficile voire impossible de quantifier, c'était l'ambition d'Adalbert qui, en éternel insatisfait, n'estimait jamais une oeuvre complète et choisissait toujours de creuser au-delà de ce qu'il avait d'ores et déjà creusé, encore et encore, à la recherche de la substantifique moelle de ses recherches, et ce n'était encore jamais complètement arrivé. Ses ouvrages théoriques avaient un début, un milieu, et une fin. Ils étaient construits, ils répondaient aux questions qu'ils posaient, mais Adalbert n'en était jamais complètement content, ce n'était pas pour rien s'il les retouchait encore et encore, et si de nouvelles éditions paraissaient régulièrement. Alors oui, si tout devait dépendre de la taille de ses ambitions, et si Eulalie Hicks n'était pas là pour les effréner de son côté, alors ils s'engageaient dans une entreprise qui ressemblait bien à l'oeuvre de toute une vie. Parfois, il faut ce qu'il faut.

Ils étaient donc du même avis, ils ne pouvaient pas se contenter d'aborder une seule facette du problème, il fallait qu'il l'attaque dans son entière globalité. Cela ne voulait pas dire qu'ils devaient s'éparpiller ou quoi que ce soit, ils devaient au contraire être très organisés pour agir au mieux. Dans tous les cas, tous ces aspects du sujet étaient bien trop correllés pour les isoler ou pour en éluder certains.

Entendre parler son interlocutrice lui laissa directement comprendre qu'ils étaient faits pour s'entendre. Les questions qu'elle soulevait, le tout porté par une expérience personnelle qui lui conférait une légitimité certaine dans ce domaine, étaient toutes pertinentes, et Adalbert se sentait plus enthousiasmé que jamais. Il ne savait même pas il y avait quelques minutes de quoi il retournait, et à présent, il était prêt à consacrer à leur collaboration tout le temps qui lui serait permis. Et encore davantage si possible.

-Je pense que ces projets-là sont les seuls qui en vaillent la peine, répondit-il, le regard brillant d'enthousiasme et de motivation.

Jamais Adalbert ne tournerait le dos à un ptojet tel, surtout s'il était "fou"... Aucun projet n'était en fou en soi... Ceux qui s'y livraient, en revanche, avaient de bonnes chances de l'être. Et il semblait qu'ils se soient bien trouvés, sur ce point.

-Il va falloir être très organisé, décréta-t-il immédiatement, nous répartir le travail le plus efficacement possible. Je suppose que nous n'aurons pas l'occasion de nous réunir suffisamment pour compter sur nos seules rencontres afin de progresser. Nous serons plus efficaces en travaillant chacun de notre côté.

Et il ne fallait surtout pas que le travail de l'un empiète sur celui de l'autre : ce serait contre-productif. Grisé par la perspective d'un ouvrage de longue haleine, Adalbert tira de son sac tout le nécessaire pour prendre des notes.

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ulalie lui présenta le dossier qu'elle avait emmené avec elle, concentré de notes diverses jetées sur divers morceaux de parchemin. De toute évidence, ils avaient la même façon de travailler, tous les deux. Ce n'est pas vraiment qu'ils étaient brouillons ou désorganisés, loin de là, c'est seulement que les idées fusaient constamment, elles n'attendaient pas d'ordre précis. Les jeter sur le papier, c'était avoir la garantie de ne rien négliger, même si c'était pour réaliser au bout du compte que telle ou telle note un peu trop tardive ou ensomeillée ne faisait finalement pas le moindre sens.

Adalbert n'était pas surpris de constater que son interlocutrice s'était déjà penché sur la question et avait déjà engagé ses propres pistes de réfléxion, il était en revanche un peu frustré, car lui-même ne pouvait pas en dire autant pour le moment. Oh, il ne pensait pas qu'il aurait vraiment la moindre difficulté à rejoindre le train en marche. Mais il tenait à ce que leur collaboration en soit une, sans que l'un des deux prenne le pas sur l'autre, pas par intention réelle d'empiéter sur ses travaux, mais par accès de trop bonne volonté. Il voulait que leurs travaux soient équitables, tout simplement.

Adalbert jeta tout de même un coup d'oeil attentif aux notes d'Eulalie et s'engagea à conserver précieusement. De même que son emploi du temps. Elle faisait bien de le lui transmettre. Il serait dans les habitudes d'Adalbert de la déranger dans les moments les moins opportuns parce qu'il aurait eu telle ou telle fulgurances dans ses recherches... enfin, même comme ça, rien ne garantissait forcément qu'il ne prenne pas la décision de la déranger même quand il ne le devrait explicitement pas.

-J'aimerais beaucoup vous accompagner, confirma-t-il quand elle lui parla de sa rencontre en cours avec Nashoba, qu'Adalbert connaissait de réputation. Pour ne pas trop s'éparpiller, engager leur réflexion tout d'abord sur la magie primitive sur le sol américain semblait effectivement être une démarche logique et efficace. Je vais lire attentivement vos recherches, j'ai encore besoin de rassembler mes idées de mon côté.

Il se le reprocherait presque, de fait. Eulalie était préparée, lui non. Il ne pouvait bien évidemment pas deviner à l'avance ce que serait l'objet de leur entretien, c'est vrai. Néanmoins, il ne voulait pas qu'Eulalie regrette en quelques minutes de lui avoir adressé sa confiance.

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A

dalbert afficha un sourire ravi, de ces démonstrations d'enthousiasme qu'il n'accordait qu'à ceux avec qui il pouvait échanger sur son travail et élargir le champ de ses perspectives concernant ce dernier. Un peu plus tôt, il n'avait pas la moindre idée que sa conversation avec Eulalie déboucherait sur une collaboration qu'il espérait fructueuse, mais à présent, cela lui semblait des plus évident. Il était convaincu qu'il ferait des merveilles ensemble, et pour cela, il n'y avait pas de temps à perdre. L'esprit du théoricien de la magie fourmillait d'idées et d'ébauches de réflexion qu'il fallait à présent organiser au mieux afin de ne pas se perdre en circonvolutions inutiles qui ressembleraient à s'y méprendre à des digressions... ce serait bien son genre. Déjà, il allait avoir l'occasion de rencontrer ce fameux chef Nashoba, et il avait envie de croire que cette rencontre en elle-même se révèlerait particulièrement intéressante et édifiante, il y comptait, tout du moins.

Il lui excusait sans mal de s'être emportée. Il se reconnaissait totalement dans cette manière d'agir et de se comporter, il avait la très nette tendance à faire de même de son côté. C'était plus fort que lui : c'était sans doute le propre de ces esprits bouillonnants qui ne parvenaient jamais à mettre leur cerveau en pause ne serait-ce que l'espace de quelques secondes, secondes qui leur paraîtraient terriblement longues s'ils devaient ne serait-ce que s'y essayer.

-Je pense qu'il serait préférable de nous revoir plus tard, en effet, cela nous permettra à vous comme à moi de progresser dans nos recherches respectives et de les organiser.

Et il fallait aussi qu'il prenne le temps de lire attentivement les recherches de son interlocutrice. Il n'avait aucune intention de se contenter de les lire en diagonale, certainement pas. Non, il comptait y accorder toute l'attention et tout le crédit nécessaire. Il était bien placé pour savoir que le diable se cachait dans les détails, par conséquent, il tenait à ce qu'aucun de ces détails ne lui échappent, chacun d'entre eux représentant une étape, l'éventualité d'un progrès.

-Que diriez-vous de nous retrouver chez moi, après-demain, dix-huit heures ? Il tira de la poche intérieure de sa carte de visite. C'est mon adresse personnelle, pas celle que mon éditeur donne à mes lecteurs pour sélectionner mon courrier.

Deux jours, ce serait encore trop peu pour tout le travail qu'il avait envie de fournir, mais c'était un début, disons. Tandis qu'il se levait de sa chaise et dépose sur la table de quoi payer sa consommation, il tendit la main à son interlocutrice afin de clôturer au mieux cette discussion.

-Je me réjouis d'avance de notre collaboration, Eulalie.

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