Une rencontre fortuite est-elle forcément une bonne rencontre ? (Langdon)

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l devenait de plus en plus rare de voir Langdon quitter son appartement new-yorkais, devenu véritable tanière dans laquelle le jeune homme se réfugiait tel un animal aux abois. Il n'apprécierait pas la comparaison, mais pourtant, elle lui allait comme un gant. Depuis la mort de son frère, Langdon était devenu aussi farouche, défiant, et par instant agressif qu'une bête sauvage, qui au passage avait également tendance à oublier les efforts de sociabilisation auxquels il s'adonnait avant cela. Les congés de Noël accordés par l'université l'arrangeaient bien, la vérité, c'est qu'il n'aurait sans doute pas fait l'effort de se pointer à un seul cours s'il en avait eu l'obligation, il ne tolérait la présence d'aucun de ses camarades, et ignorait sublimement l'initiative de certains qui cherchaient pourtant manifestement à le rassurer, à lui présenter leurs condoléances. Qu'elles soient sincères ou non, il s'avérait seulement qu'il n'était tout simplement pas prêt à les entendre, et il n'était pas convaincu que ce moment viendrait un jour... à moins bien sûr que justice soit enfin faite. En fin de compte, il comptait avant tout là-dessus, il en avait besoin pour lui-même, pour faire son deuil, pour que son père accepte enfin de voir la vérité en face, mais il pensait que le monde entier en avait besoin en fin de compte, il était du devoir de tout un chacun de prendre la mesure de la situation et de faire en conséquence.

Il ne sortait donc de chez lui qu'à de très rares reprises, et c'était presque toujours pour les mêmes raisons (si l'on omettait les quelques courses qu'il devait bien faire pour subvenir à ses besoins), en fin de compte, à savoir rendre visite à Mrs Barebone. La voir si régulièrement n'était guère utile, elle n'avait rien de plus à lui dire que ce qu'elle lui avait déjà appris, mais il avait besoin de parler de cette situation avec quelqu'un qui soit vraiment susceptible de le comprendre, avec quelqu'un qu'il n'ait pas à convaincre mais avec qui il pouvait tout simplement évoquer ses soupçons sans passer pour un fou ou un idiot. En conjuguant leurs forces de recherches et de persuasion, il était convaincu qu'ils parviendraient à leurs fins respectives. Mais pour l'heure, cette nouvelle visite n'avait pas mené à grand-chose, avait seulement conforté Langdon dans ses quelques certitudes. Les mains dans les poches, engoncé dans son manteau d'hiver, il s'apprêtait à rejoindre son appartement quand il heurta (ou fut heurté ? Difficile à dire, il avait la tête ailleurs) une jeune femme qui s'en excusa aussitôt.

-Ce n'est rien, répondit d'un ton et dans un sourire mécaniques. J'habite à quelques rues d'ici, oui... Il observa son interlocutrice plus attentivement. Pourquoi ?

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uand la jeune femme lui demanda si il accepterait de lui faire visiter le quartier, Langdon regretta presque instantanément d'avoir répondu à la question précédente de son interlocutrice et fut bien tenté de l'envoyer balader (sans se rendre compte qu'il le devait d'autant moins qu'il avait justement affaire à l'un de ces individus qu'il tenait pour responsables du décès de son frère), mais il se ravisa fort heureusement à temps et se rappela à ce que son éducation lui avait appris de courtoisie et de civisme. Langdon n'était pas un jeune homme désagréable et taciturne en soi, il était même plutôt sociable et amène, en réalité, mais les circonstances l'avaient refermé aussi sûrement qu'une huître. La soif de réponse autant que de vengeance, l'obstination qui vire à l'obsession... la combinaison de tous ces états n'encourageait pas forcément le comportement le plus sain... Mais il pouvait bien abandonner un temps ses sombres pensées pour accorder du temps et de l'attention à une jeune femme qui avait le courage de l'aborder dans l'espoir d'en découvrir un peu plus sur une ville dans laquelle elle était fraîchement débarquée et de laquelle il lui rester encore tout à apprendre, après tout.

-Eh bien, pourquoi pas, oui ? répondit-il en parvenant à retrouver un sourire de circonstance à peu près convaincant. Je n'ai rien de particulier à faire, de toute façon.

Ce qui était vrai, au passage. Puisqu'il négligeait totalement ses études de journalisme, puisqu'il passait le plus clair de son temps à broyer du noir, on ne pouvait pas dire qu'il ait un emploi du temps de ministre. Même s'il était capable d'affirmer le contraire. Il y avait ses recherches et ses projets, bien sûr, mais il piétinait plus qu'il n'avançait en réalité. Parler avec Maureen lui donnerait peut-être l'opportunité de s'aérer l'esprit, en fin de compte.

-Vous venez d'où ? Si ce n'est pas indiscret...

Il lui devinait un accent... britannique, peut-être ? Il lui semblait bien, en tout cas, son phrasé ne paraissait pas avoir grand-chose d'américain. De cela, il était quasiment sûr. Si elle venait tout juste d'arriver en Amérique, ou tout du moins à New York, c'est qu'il devait forcément y avoir une raison à cela. Et il était assez curieux, il est vrai, de découvrir laquelle.

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onc, il avait vu juste, c'était bien un accent britannique qu'il avait discerné chez son interlocutrice. Elle venait donc d'Angleterre. Ce qui pouvait dire beaucoup de choses en soi. Langdon, qui en dépit de ses études n'était pas du tout un pro en géographie, ne connaissait pas grand-chose de ce pays outre-Atlantique si ce n'est ces bons vieux clichés sur Londres et les Anglais qui ne manquaient pas de savoir se disperser à travers l'océan. Tout comme il ne doutait pas que Maureen devait elle aussi avoir ses propres a priori (sans doute fondé) sur les Américains... et auxquels il correspondait sans doute pour certains... Est-ce que Maureen respecterait les clichés sur les Britanniques ? Il le découvrirait peut-être. En tous les cas, son interlocutrice l'intriguait, suffisamment pour l'encourager à poursuivre cette conversation, lui qui avait un peu oublié d'être bavard depuis la mort de son frère. il était capable de prendre sur lui, suffisamment, l'espérait-il pour ne pas ennuyer totalement son interlocutrice (quoique si il devait l'ennuyer, ce serait surtout son problème à elle... ce serait à elle de le supporter le temps que durerait leur petite visite des rues de New York). La jeune femme l'interrogea à son tour sur ses origines, et Langdon, conciliant, lui répondit aussitôt.

-Oui, j'ai toujours vécu à New York... et d'ailleurs, je n'ai jamais voyagé où que ce soit d'autre. Le plus "exotique" qu'il ait pu faire, c'étaient les villes alentours, on faisait quand même plus passionnant. Mais c'était comme ça, son père était toujours beaucoup trop occupé. Il n'avait pas le temps d'emmener ses fils en vacances. Après, il aurait sans doute pu décider de partir en vacances de lui-même. Mais il avait eu... disons, d'autres préoccupations. On contourne Astoria, c'est un joli parc, on peut y faire un tour, si vous voulez. Ou pas, il proposait. Le Queens n'était pas le quartier le plus touristique ni le plus élégant de New York, la jeune femme trouverait largement mieux son compte à Manhattan, mais si elle voulait découvrir les lieux... Qu'est-ce que vous êtes venue faire à New York, l'interrogea-t-il alors. Le travail ?

Il se montrait peut-être trop curieux, mais c'était de bonne guerre, elle aussi était curieuse. Et puisqu'ils passeraient ces prochaines minutes ensemble, autant apprendre à faire plus ample connaissance.

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a jeune femme semblait avoir un peu la tête dans les nuages, mais ça ne dérangeait pas Langdon outre mesure, il pouvait très bien comprendre le fait que l’on soit dans la lune, parfois, ça lui arrivait comme à beaucoup d’autres, et encore plus dernièrement, alors que ses trop nombreuses cogitations l’empêchaient de se concentrer comme il le devrait sur certaines choses un rien plus pragmatiques et terre à terre. Elle lui reprécisa qu’elle s’installait définitivement à New York, ce qu’elle lui avait déjà dit. Ceci dit, répéter une information déjà dite, à qui cela n’arrivait pas ? De toute évidence, ce déménagement définitif devait avoir de l’importance à ses yeux, c’était sans doute pour cela qu’elle en parlait de la sorte. Et il comprenait cela sans mal. Il n’avait jamais quitté sa ville natale, mais il ne devinait que trop bien combien il devait être difficile ou en tout cas marquant que de faire ce bond dans l’inconnu en s’installant dans un tout autre pays. Surtout que l’Angleterre et l’Amérique ne manquaient pas de différences culturelles. Elle était donc venue en partie pour le travail. Elle n’en dit pas plus, mais le reste était sans doute personnel, supposait-il, elle ajouta qu’elle était là depuis une semaine et avait le sentiment d’être une touriste. Est-ce que cela passait avec le temps, demanda-t-il.

-Je serais bien incapable de le dire, répondit-il dans un sourire d’excuse. Et pour cause, il ne connaissait pas pour sa part ce genre de bond dans l’inconnu, mais il restait convaincu du fait que ça devait passer avec le temps, ça devait forcément passer avec le temps. Le temps fait que l’on s’habitue à tout. Même ce à quoi on ne veut pas s’habituer.

Ensuite, comme venu de nulle part, elle prononça son nom. Langon fronça les sourcils. Est-ce qu’il avait la berlue, ou… il n’avait pas souvenir de lui avoir donné son nom, pourtant. Mais il faut croire que oui, car comment, autrement, serait-il possible qu’elle le connaisse ? D’accord, il avait tendance à voir de la sorcellerie partout en ce moment, mais la paranoïa avait quand même ses limites… Bref, dans tous les cas, elle savait comment il s’appelait, et visiblement, elle fit le lien avec Henry. Langdon se rembrunit. Il était loin d’être le seul Shaw dans tout New York, mais malheureusement, Maureen avait vu juste, et pour la peine, il déplorait un peu son absence de tact.

-Oui, c’est un parc magnifique, confirma-t-il, un peu refroidi par l’évocation de son frère qui éveillait en lui des souvenirs encore bien trop douloureux. Henry Shaw était mon frère, voulut-il bien ajouter tout de même, attristé. Vous comprendrez qu’il soit difficile pour moi d’en parler.

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a jeune femme s'excusa du bout des lèvres, et Langdon répondit par un sourire qui pourrait être traduit par "Ce n'est rien". Bon, bien sûr, c'était effectivement quelque chose, son frère était mort il y a quelques jours à peine, Langdon était bouleversé, normal que ce soit encore compliqué pour lui. Pour autant, il n'avait pas voulu mettre son interlocutrice mal à l'aise. Il avait peut-être accueilli sa maladresse avec un peu trop de... froideur, mais il n'arrivait pas à mieux gérer son deuil pour le moment. La moindre évocation de Henry lui était difficile et douloureuse. Et il faudrait du temps pour que ces cicatrices-là parviennent à guérir complètement, d'autant plus que ses rapports avec son aîné n'avaient pas été au beau fixe avant le décès de ce dernier.

Il voulut ajouter quelque chose, peu importe quoi, pour peut-être détendre l'atmosphère, mais il avait le sentiment que quoi qu'il dise ou fasse, son interlocutrice ne considèrerait pas la situation différemment. Il avait le sentiment qu'elle s'ennuyait avec lui, ou qu'elle ne l'appréciait pas, il ne savait pas trop. Il avait songé que faire une nouvelle connaissance lui ferait peut-être du bien. Il avait choisi de s'échapper de sa solitude, de son mutisme, de sa douleur... en consacrant du temps à la jeune inconnue... mais visiblement, il n'était pas... de bonne compagnie. Et si ça devait être le cas, il ne voulait pas lui imposer sa présence plus longtemps. Le ciel s'assombrissait, elle préférait sans doute largement être chez elle.

-Je... Il hésita. Je crois que je ne suis pas de bonne compagnie. Il marqua une légère pause. Je ne veux pas vous importuner alors.. je vais vous laisser.

Lui, peut-être que ça ne lui aurait pas fait de mal, d'avoir... une présence, disons. Mais retourner à sa solitudes, à ses lubies et obsessions était sans doute tout ce dont il était capable pour le moment. A ce titre, il fallait certainement qu'il se fasse une raison.

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