Smile again | Elizabeth

Reprendre les cours avait fait du bien à Elizabeth, lui avait permis de se recentrer sur autre chose. Dernièrement, elle n'avait eu que trop tendance à se focaliser sur sa petite personne, rien d'autre, et elle était honnêtement épuisée par sa propre propension à ne pas savoir faire la part des choses, elle qui était normalement, pourtant, d'un naturel suffisamment pragmatique pour cela.

Les événements s'étaient bousculés, avec eux, ce qu'elle considérait de plus solide et de plus sûr dans sa vie dévoilait ses failles (mieux valait tard que jamais), et elle avait besoin de remettre de l'ordre dans ses affaires et dans son esprit. C'était par conséquent une bonne chose qu'elle passe une grande partie de son temps à Ilvermorny. Elle était convaincue que le fait de ne pas travailler durant ses vacances n'avait pas non plus aidé sa paranoïa.

Difficile, malgré tout, de prétendre que la vie reprenait son cours comme si de rien n'était. Même ses cours ne lui apportaient plus tant de satisfaction que cela. Elle était de plus en plus frustrée parce que l'aspect uniquement théorique de ses cours, quand elle aimerait pouvoir confronter bien plus directement ses élèves aux créatures qu'ils étudiaient. Malgré tout, elle faisait de son mieux pour rendre cela le plus passionnant possible. Les récents événements aidaient à intéresser ses élèves... C'était déjà cela de pris, disons.

C'était l'heure du déjeuner, et Elizabeth ne s'était pas jointe au reste de ses collègues. Elle estimait qu'elle ne serait pas de bonne compagnie. Attablé face à un maigre repas, elle avait emporté avec elle quelques copies à corriger. Pas les meilleures conditions pour ça, mais ce serait toujours cela de moins à faire plus tard. Et elle était concentrée sur sa tâche quand elle entendit une voix amicale s'adresser à elle.

- Bonjour Elizabeth, je peux me joindre à toi ?

Elle releva le regard et adressa un sourire à Lucius. Même si elle avait eu pour intention de s'isoler, il serait au fond idiot de le rembarrer. Cela lui ferait sans doute du bien de parler un peu avec un ami. Et Lucius était le collègue duquel elle se sentait le plus proche.

"Bien sûr, Lucius. Installe-toi." Elle rangea ses copies. Elle y reviendrait plus tard. Dans tous les cas, elle n'avait pas été bien concentrée. "Comment vas-tu ? ça a été, ta matinée ?"

- Ma matinée s'est plutôt bien passée. Je sens tout de même que la reprise des cours est difficile.

Elizabeth voulait bien le croire. Elle avait d'ailleurs le sentiment que la reprise se révélait difficile pour absolument tout le monde sans exception. C'était normal, professeurs comme élèves avaient été bouleversés par les récents événements, et leurs répercussions étaient encore bien trop incertaines pour qu'il soit réellement possible d'y faire abstraction.

Malgré tout, il était important de savoir garder un rythme, une routine. Il était important de reprendre le cours normal de leur programme, pas pour donner l'illusion que rien n'avait changé, mais parce que leur rôle était important et ne devait pas être négligé. C'était à eux d'offrir un cadre et une structure aux étudiants qui un jour affronteraient un monde dont il était difficile pour le moment de deviner ce qu'en serait précisément le visage. C'était la reprise. Les reprises étaient en plus en soi toujours compliquées, mais la situation irait en s'améliorant. Elle voulait le croire en tout cas.

- Les élèves se focalisent sur les évènements de fin d'année. Ils ont la tête ailleurs, ce qui est bien normal. Mais je m'efforce de les recentrer sur leur travail.

Ils rencontraient tous les deux les mêmes difficultés de ce point de vue-là. Elizabeth avait estimé nécessaire de faire n point direct - mais le plus concis possible - sur les événements avec ses élèves. Puisqu'elle était la référence à Ilvermorny en matière de créatures fantastiques, on attendait son opinion, ce qui était au fond ce qu'il y a de plus logique. Même si les obscurus porraient difficilement être qualifiés de créatures et qu'elle n'était pas plus informée qu'aucun de ses élèves sur la question. Elle en avait longuement parlé avec Adalbert, mais tout était encore bien trop décent.

Malgré tout, il était important que les élèves restent focalisés sur l'essentiel. Pour le moment, c'étaient leurs études qui importaient bien plus que le reste... Parce qu'elles pouvaient les préparer au "reste" justement.

- Et pour répondre à ta question de savoir si je vais bien, disons que j'essaie de me porter mieux, mais qu'il m'est toujours difficile d'aller de l'avant.

Elizabeth ne pouvait que l'imaginer. Lucius avait vécu un drame inimaginable. Les petits problèmes de la jeune femme, en comparaison, étaient absolument risibles. Elle ne les négligeait pas mais elle le constatait forcément malgré tout. Et elle espérait que Lucius réussirait bel et bien à aller de l'avant, non pas à laisser cette histoire derrière lui mais à faire le nécessaire pour qu'elle ne la fasse plus souffrir.

"Tu sais que si tu as besoin d'en parler, je suis là", observa Elizabeth avec un fin sourire.

C'était sincère. S'il devait avoir besoin de vider son sac, elle serait ravie de l'y aider.

- Et toi, ça va ?

"Oui...", répondit-elle d'un ton peu convaincue. "J'angoisse de plus en plus à l'approche du mariage, pour ne rien te cacher."

Même si elle avait le sentiment de s'inventer des problèmes quand Lucius, lui, avait dû en affronter de réels.

- Je sais, et je t’en remercie. Tu es l'une des rares personnes avec qui j'arrive à en parler.

Elizabeth sourit, sincèrement touchée de cette réponse. Elle était heureuse qu'il l'estime digne de ses confidences, cela en disait long sur la valeur qu'il donnait à leur amitié, et c'était entièrement réciproque.

Le professeur d'étude des créatures magiques ne pouvait malheureusement pas faire grand-chose pour aider Lucius si ce n'est lui prêter une oreille attentive, mais semble-t-il que cette oreille qu'elle lui tendait, l'épaule sur laquelle elle lui proposait de se reposer quand ça n'allait pas, avaient déjà un effet plus que bénéfique sur lui. Cela la soulageait de l'apprendre et de le savoir.

Et elle ne voulait surtout pas qu'il hésite à lui parler chaque fois qu'il en éprouverait le besoin. Mais c'était une chose, pensait-elle, qu'il avait effectivement bien comprise. Il lui parlait toujours ouvertement, librement, en ne s'embarrassant pas des faux-semblants qu'il réservait peut-être à d'autre, et elle en était heureuse.

De son côté aussi, il lui semblait donc normal de ne pas le baratiner concernant ses propres états d'âme, même si elle avait le sentiment qu'ils n'étaient pas grand-chose. Il était bien possible qu'elle se mette martel en tête pour rien, par crainte seulement de la suite, car un mariage, ce n'était pas rien, après tout.

- Je comprends. L’engagement peut faire peur.

L'engagement faisait peur, oui, mais pas à elle... Enfin... c'est ce qu'elle pensait. Elle avait toujours été si sûre, à la fois de ses sentiments pour Ethan, qu'elle aimait depuis presque toujours, et de leur avenir commun. Le mariage avait été pour elle une suite logique, elle ne se serait jamais imaginé que ce puisse devenir source d'angoisse.

En fait, elle avait plutôt le sentiment que c'était Ethan qui avait soudainement peur de l'engagement, et cette peur rejaillissait alors sur elle. Mais la vérité, plus évidente sans doute, c'était sûrement qu'ils étaient tous les deux également paumés et inquiets à l'approche du grand jour.

- Qu'est-ce que tu redoutes le plus ?

Bonne question... Elle ne s'était jamais posé la question en abordant cet angle-là... mais ce n'était pas une mauvaise façon de reconsidérer la situation.

"J'ai peur... qu'Ethan ne soit pas heureux avec moi", observa-t-elle, formulant pour la première fois cette angoisse à voix haute. "Ces derniers temps, il est différent... Je sais que c'est son travail et les derniers événements qui pèsent sur sa conscience, et je ne veux pas l'accabler... mais je voudrais le retrouver comme il était quand il m'a demandé ma main."

Et puis, il y avait Milla.

- Oui j'imagine qu'il doit avoir du pain sur la planche...

Elizabeth hocha la tête avec une légère esquisse de sourire, c’était en effet le moins que l’on puisse dire, et elle ne se voyait pas accabler son fiancé de reproches sous le prétexte qu’il avait d’autres choses dans la tête, qu’il était préoccupé. Bien évidemment, qu’il l’était. Dans un monde proche de l’effondrement, comment ne pourrait-il pas l’être.

Et Ethan, par ailleurs, avait toujours été totalement dévoué à son travail, ce n’était pas une nouveauté. Cela ne les avait jamais incommodé ni l’un ni l’autre parce qu’Elizabeth consacrait beaucoup de temps à ses cours et à ses élèves, si bien qu’ils y trouvaient un équilibre tout de même, mais là… il y avait comme une fissure… L’ignorer en espérant qu’elle se répare d’elle-même, c’était prendre le risque qu’elle s’agrandisse, alors qu’il suffirait sans doute de colmater les failles pour que tout aille mieux.

- Mais je pense que tu dois quand même lui en parler. Sans communication, les choses ne s'arrangeront pas. Je suis certain qu'il prendra le temps de t'écouter.

Lucius avait raison, bien sûr. Elizabeth la première estimait que la communication était une clé absolument essentielle à n’importe quel dialogue. Mais il était bien difficile de trouver le temps et l’énergie d’engager ce genre de conversations ; Elizabeth avait tendance à se planquer derrière de fausses excuses, à vouloir repousser l’échéance autant que possible. Tout simplement parce qu’elle gardait au fond d’elle la peur que tout s’effondre si la communication devait échouer… Alors même que cet échec serait sans doute motivé par une absence de dialogue.

Oui, il prendrait certainement le temps de l’écouter, en plus, si ils se parlaient. Elle allait affirmer à Lucius qu’elle allait écouter ses conseils et en discuter plus clairement, plus concrètement avec son fiancé, mais alors il la prit de court avec une question qui lui donna le sentiment qu’on venait de lui balance un seau d’eau glacée en pleine figure.

- Qui est Milla ?

Bien sûr… Il l’avait lu dans ses pensées… C’était bien sa veine. Elle se confiait à Lucius sur beaucoup de choses, c’est vrai, mais cette confidence-ci la mettait un peu mal à l’aise.

« C’est personne… », répondit-elle sans doute trop rapidement sans être crédible. « Enfin… » Parce qu’elle ne pouvait pas mentir à Lucius. « Elle fait dans le trafic d’animaux magiques. Ethan a tenté de l’appréhender plusieurs fois… Et elle lui tourne clairement autour. » Elle marqua une pause. « Je suis sûre qu’Ethan s’en fiche mais ça me rend paranoïaque. »

- Je vois.

Elizabeth ne savait pas exactement ce que son ami voyait ou non. Pour sa part, elle avait bien du mal à y voir véritablement clair, à comprendre plus précisément de quoi il retournait. La situation était confuse, ses sentiments étaient confus, et c’était bien ça le problème. Il était bien probable que Milla ne soit pas tant une menace réelle que l’incarnation des peurs que ressentait Elizabeth à l’approche du mariage, qu’elles soient justifiées ou non.

Parce qu’avant qu’ils ne se fiancent, aucun doute n’avait jamais été permis, et à présent qu’ils faisaient le choix de s’engager pour la vie, voilà qu’ils se retrouvaient à douter de tout. Ils, parce qu’Ethan n’était sans doute pas mieux loti qu’elle à l’heure actuelle. Et cela se ressentait… Il fallait vraiment qu’ils apprennent à communiquer mieux que ça. Elle n’avait jamais eu le sentiment que c’était un problème dans leur vie mais…apparemment, il fallait qu’elle reconsidère la question, en l’occurrence.

- C'est bien normal d'être paranoïaque. Ce n'est pas très amusant de savoir qu'une femme tourne autour de ton fiancé, même si tu es certaine qu'il n'y a aucune raison de t'inquiéter.

Cela la rassurait tout de même d’entendre Lucius considérer son comportement comme « normal », parce qu’à certains moments, Elizabeth se demandait si elle n’était pas juste en train de devenir folle, point barre. Elle avait peur de devenir le genre de femme qu’elle n’avait jamais été : jalouse, mal dans sa peau, à douter de tout… Alors même qu’elle avait toujours accord une confiance aveugle en Ethan. Leur confiance l’un en l’autre, ça avait été le ciment même de leur couple, elle avait peur de se saborder, de les saborder. Elle ne savait pas trop ce que ça disait d’elle-même.

« Merci, j’ai un peu moins l’impression d’être folle », répondit Elizabeth avec un fin sourire. « Enfin… ça ne sert à rien de ressasser tout ça », dit-elle, s’en voulant un peu de s’être autant épanché. Bien sûr, Lucius était son ami, et par ailleurs elle ne pouvait rien lui cacher, mais elle avait le sentiment de ne se concentrer que sur elle-même. « C’est quelque chose que je dois régler avec Ethan, de toute façon. Parlons d’autre chose, tu veux bien ? »

Elle préférerait se concentrer sur la vie de son interlocuteur. Même si ce ne serait pas forcément très heureux.

- Oui bien sûr. Désolé, tu dois déjà y penser constamment.

Elizabeth voudrait bien prétendre le contraire, mais elle savait bien que Lucius serait la dernière personne qu’elle serait capable de duper à ce sujet, et d’ailleurs, elle s’en sentait un peu honteuse. Certes, elle savait que son ami ne lui reprochait rien, et au contraire, prenait le temps et le soin de la conseiller, mais elle aimerait être capable de plus de distance par rapport à sa propre situation, et savoir ne pas se laisser dévorer par ses propres considérations. Mais il semblerait que ce ne soit pas demain la veille que cela arriverait, malheureusement. Alors pour le moment, le plus simple restait de changer de sujet.

Même si Lucius n’avait aucune raison de s’excuser, bien sûr. C’est vrai qu’elle y pensait constamment, mais ça lui avait fait du bien d’en parler, même en surface. Ce n’était pas le genre de choses sur lesquelles elle se confiait aisément en règle générale. Elle, elle était plutôt du genre à tout refouler, le plus profondément possible, avec en tête l’idée qu’elle devait s’en sortir seule et que ses problèmes allaient forcément incommoder son entourage. C’était une vision de son esprit, bien évidemment, mais cette dernière avait quand même la vie dure, l’air de rien.

- Au niveau du boulot, comment ça se passe pour toi ?

Voilà un sujet plus sûr, en effet. Il n’était pas forcément beaucoup plus… heureux par bien des aspects, parce que son travail avait toujours eu quelque chose de frustrant pour elle. D’un autre côté, elle aimait son métier, et depuis le temps, elle s’était évidemment faite à ces contraintes contre lesquelles elle ne pouvait évidemment pas lutter… ou bien lutter en vain uniquement.

Elle aimait transmettre son savoir, même si elle devait rivaliser d’inventivité pour compenser l’absence d’approche plus pratique et directe. Elle retenait l’idée que lui avait soufflé Albus Dumbledore, celle d’un échange scolaire entre Ilvermorny et Poudlard. Elle adorerait permettre à ses élèves de découvrir la réalité concrète de ce qu’elle leur apprenait.

« Les élèves n’ont jamais été aussi motivés dans ma matière que depuis la rentrée. Tu penses, avec ce qui s’est passé à New York, ils ont tout vouloir savoir des créatures de Scamander. C’est bien, ça me permet une nouvelle approche. On dira qu’au moins, ça a eu du bon de ce point de vue-là. »