Une histoire qui n'a pas un goût personnel n'est pas une bonne histoire (Langdon)

L

angdon était perdu. Rien de nouveau là-dedans, vous me direz. Ca faisait tout de même un bon moment qu'il l'était. Il s'était senti perdu sans doute bien avant la mort de son frère, et la situation n'avait bien évidemment fait qu'empirer les choses dans des proportions devenues incontrôlables. Mais il l'était, disons, plus que d'habitude, parce que son seul et unique repère, celui qu'il avait pensé absolument inébranlable, était peut-être sur le point de s'effondrer. Comme un peu tous les pans de sa vie, en réalité.

D'abord, il y avait tous ces amis qu'il avait perdus parce que ces derniers refusaient de le croire (mais il devrait admettre que s'il était un peu moins obsessionnel et psychorigide, cela n'arriverait pas), ensuite, il y avait son père avec qui il avait choisi de tout simplement couper les ponts (ce qui ne changeait rien au fait qu'il l'aimait malgré tout, mais il en avait assez de s'égosiller dans le vent et de s'entendre passer pour un fou)... ce n'était pas forcément facile à vivre, mais il avait accepté de faire avec, parce qu'il était convaincu qu'un jour viendrait où la vérité éclaterait au grand jour et où il accepterait tout simplement les excuses de ceux qui lui avaient tourné le dos (ou à qui il avait tourné le dos). Seulement, c'était un autre de ses piliers qui s'apprêtait peut-être à s'effondrer... et il n'était pas certain d'être prêt à l'accepter.

Depuis que Chastity lui avait parlé de sa mère, avec une inquiétude certaine dans la voix, il appréhendait les révélations qu'elle avait à lui faire à son sujet. Il aurait envie de nier en bloc, bien sûr, c'était toujours plus simple que de voir la vérité en face, mais il ne se permettrait pas de remettre en cause la parole de son amie... alors qu'il pouvait admettre que celle de Mary Lou, à son grand dam, n'était peut-être pas si fiable. Il avait prêté à Mrs Barebone une attention totale, il avait bu ses paroles, il avait servi sa cause, elle avait été la seule à le croire quand tout le monde le prenait pour un fou. Difficile de revenir en arrière, difficile de remettre tout cela en question. Mais il allait sans doute le falloir.

Langdon avait donné son adresse à Chastity afin qu'elle vienne le voir quand elle aurait l'occasion de le faire à l'insu de sa mère adoptive, et pour le moment... eh bien, rien. Mais quand on frappa à la porte, ce soir-là, il crut définitivement que c'était elle. Il ne sut pas réellement s'il devait être soulagé ou déçu quand il constata que c'était un homme qui se trouvait de l'autre côté de la porte, un homme qu'il n'avait jamais vu de sa vie.

-Euh... bonsoir... ? Qu'est-ce que je peux faire pour vous ?    
   

code by Mandy

   

L

angdon hocha simplement la tête quand son interlocuteur s'assura de son identité. Pour tout dire, il ne savait pas s'il faisait bien, sachant qu'il ne savait absolument pas à qui il avait affaire. D'un autre côté, cela ne servirait à rien de mentir. Son visage était connu, son nom était inscrit sur sa boîte aux lettres, et n'importe qui pourrait attester du fait qu'il était bel et bien Langdon Shaw, alors autant répondre honnêtement, même si ce n'était qu'un geste unique qui avait servi de réponse pour le moment. Et pour cause, le jeune homme était sur ses gardes. Paranoïaque comme il l'était, il ne fallait pas attendre de lui un tempérament sociable ou bavard. Il l'avait été pourtant, trop sans doute, et il pouvait encore l'être auprès des personnes en qui il estimait pouvoir avoir confiance. Le problème, c'est que le nombre de ces personnes s'amenuisaient un peu plus chaque jour, au point qu'il finisse par avoir le sentiment d'être seul au monde.

L'homme se présenta sous le nom d'Illan Williamson. Ce nom ne disait absolument rien à Langdon. Jamais entendu parler. Il avait beau convoquer sa mémoire, il ne pensait pas avoir ne serait-ce que capté un jour ce nom au détour d'une conversation. Cela n'arrangeait pas sa défiance, car il ne savait toujours pas à qui il avait affaire exactement. Il n'avait qu'un nom, et un nom qui ne représentait rien à ses yeux, et ce n'était pas suffisant. Encore moins suffisant compte tenu du fait qu'il voulait lui parler des fidèles de Salem... comme à peu près tout le monde ces derniers temps. En même temps, c'était normal, c'était lui qui avait commencé. S'il n'en faisait pas de lui-même une obsession, on le laisserait certainement tranquille. Mais voilà, c'était plus fort que lui.

-Et en quelle qualité, exactement ? demanda Langdon d'un ton qui n'avait rien de jovial.

L'homme avait envie de lui parler, mais Langdon, lui, n'était pas certain de vouloir l'écouter, d'autant plus qu'il ne se faisait toujours aucune idée précise de qui était cet homme exactement. Un enquêteur de police ? Un journaliste ? ... Autre chose ? Dans tous les cas, il n'avait pas forcément envie de prendre le risque d'avoir ce genre de conversation avec un homme qui était pour le moment un inconnu. Déjà que parler de son lien avec les fidèles de Salem à ses proches avait tendance à mener à une situation particulièrement inconfortable, et à l'éloigner des personnes qui lui étaient chères, il n'était pas sûr de vouloir se confier à un homme qu'il ne connaissait même pas. Impossible de savoir si ses intentions étaient louables ou non, impossible de savoir ce qu'étaient ses intentions tout court. Il devait comprendre qui il avait en face de lui. 
   

code by Mandy

   

L'

homme répondit bien vite aux interrogations de Langdon en lui présentant un badge tout officiel (du moins avait-il l'air parfaitement officiel - il aurait pu être factice de façon plus factice que le jeune homme n'y aurait vu que de feu, il ne pouvait pas prétendre être un expert en la matière) et en se présentant comme un inspecteur de police. Langdon le crut sur parole. Pourquoi remettrait-il ses propos en question ? Il avait beau être singulièrement paranoïaque, ce n'était certainement pas au point d'imaginer que l'on puisse vraiment chercher à l'interroger sous un prétexte si habile... Il se détendit un peu. Dans la mesure du possible. Se retrouver face à un inspecteur de police n'était pas chose agréable ou confortable dans tous les cas, même quand on n'avait rien à se reprocher, mais Langdon avait été éduqué dans le respect naturel de quiconque oeuvrait au service de la justice, et en conséquence, il avait bel et bien l'intention de mettre de l'eau dans son vin.

-Oh... Eh bien... rentrez, alors, dit Langdon qui ne pouvait plus laisser cet homme sur le pas de la porte, au passage assez embarrassé de l'état dans lequel se trouvait son appartement à l'heure actuelle, c'est à dire dans un foutoir pas possible. Des coupures de journaux et des restes de repas à peine avalés jonchaient la table et le sol... Lui s'était habitué, il n'en restait pas moins assez embarrassé. Il invita l'homme à s'asseoir et lui proposa au passage quelque chose à boire - un verre d'eau, quelque chose comme ça, il se doutait que l'homme ne buvait pas en service - avant de s'installer face à lui. Je vous écoute, quelles sont vos questions.

Il ne savait pas si cette fois serait sa chance. Il n'y croyait plus. A force de moqueries et de rejets, il avait fini par songer que les voies officielles ne mèneraient jamais nulle part et ne l'aideraient jamais à obtenir gain de cause. Il avait parlé à son père, il avait parlé à Cherryl, l'un incarnait la presse dans toute sa splendeur, l'autre la police et enquêtait qui plus est sur la mort de son frère, mais ni l'un ni l'autre n'avaient accordé le bénéfice di doute à ce qu'ils estimaient être des élucubrations. Au mieux avaient-ils l'indulgence de le croire fatigué ou sous le choc... Est-ce que ce policier serait capable d'entendre ses hypothèses sans à son tour lui rire au nez ou balayer ses réflexions d'un revers de manche ? Il finissait par en douter un peu. Il ne savait pas trop quelle réaction était la plus appropriée. Mais en attendant, le plus simple restait encore d'entendre les questions de son interlocuteur. Il aviserait en fonction de ces dernières.


   

code by Mandy

   

C

e qui était arrivé à la demeure des Barebone était étrange en soi, oui et non, tout dépendait de ce qu'on décidait encore de considérer comme étrange ou non. en ce qui concernait Langdon, il avait très clairement reconsidéré ses standards sur la question depuis qu'il avait admis une bonne fois pour toutes que la magie existait. Le jeune homme avait appris, quand quelque chose apparaissait comme étrange ou inexplicable quelque part, il fallait admettre la possibilité qu'il y ait de la sorcellerie à l'oeuvre.

Est-ce que cela rendait ces situations plus acceptables, non, bien sûr que non, mais plus concevables, en revanche, oui, même si elles continuaient de ne l'être que pour lui et les fidèles de Salem et jamais ou presque pour ceux à qui ils tentaient de faire entendre la vérité. Cet homme était un inspecteur, alors Langdon émettait des réticences quant au fait qu'il sache faire quoi que ce soit. Il était bien plus probable qu'il observe la situation sans agir, en le considérant comme un taré ou au mieux en s'imaginant qu'il avait été abusé par les fidèles de Salem. Il ne plaçait pas beaucoup d'espoirs dans le fait d'apprendre la vérité à son interlocuteur, mais son discours ne devait pas varier quoi qu'il en soit, parce qu'il savait où se situait la vérité, dorénavant... Maintenant, il voudrait seulement que la justice, elle aussi, sache se situer du côté de la vérité.

-Les Barebone n'étaient pas franchement appréciés, je pense que ça ne vous aura pas échappé, répondit-il. Même s'il prenait ses distances avec Mary Lou après ce que Chastity lui avait appris à son sujet, ça ne l'empêchait pas pour autant de défendre la cause des fidèles de Salem, car il continuait de la trouver juste, tout simplement. Les fidèles de Salem ont vocation à avertir la population de la menace que représentent les sorciers, et voilà que leur demeure se retrouve la cible d'une attaque inexplicable... Il n'est pas difficile de deviner qui peut en être responsable, vous ne pensez pas ?

Bon, Mary Lou Barebone et ses idées très rigoureuses avait également pu se faire un sacré nombre d'amis parmi les non-sorciers (à commencer par le père même de Langdon, par exemple), mais dans ce cas précis, le jeune homme ne voyait même pas l'intérêt d'avancer cette possibilité. Des sorciers étaient à l'origine de cet événement sinistre, comme d'autres sorciers (ou peut-être les mêmes) avaient causé des ravages inexplicables dans le métro new-yorkais, ou encore (et surtout) avaient tué son frère... Mais il savait que cette vérité, comme à chaque fois, ne serait pas écouter. Il ne devait pas baisser les bras, mais il était difficile de rester positif quand l'issue semblait toujours et irrévocablement devoir être la même quoi qu'il advienne.


   

code by Mandy

   

L

a réaction de Williamson n'eut rien pour surprendre Langdon. Il ne s'était absolument pas attendu à ce que cette dernière diverge de celles de tous les autres, tous ceux qu'il s'obstinait à vouloir convaincre et qui préféraient demeurer hermétiques à la vérité plutôt que d'admettre que leur vision des choses puisse être en partie biaisée et devait être remise en question. Cette remise en question n'était pas facile à faire, bien sûr, elle n'en était pas moins nécessaires, et ils ne rencontreraient aucun progrès tant que personne ne parviendrait à décemment abonder dans ce sens. Langdon avait au moins retenu quelque chose de toutes ces semaines passées à hurler dans le vent. Répéter la vérité, encore et encore, sur tous les tons et de toutes les manières possibles, ne suffirait pas à ce que cette réalité soit entendue... Et donc, c'était s'égosiller dans le vide et perdre toute crédibilité vis-à-vis de ses interlocuteurs.

Mary Lou Barebone pouvait peut-être se le permettre de son côté, parce qu'elle avait l'autorité et le charisme nécessaires pour se faire entendre, mais lui, de son côté, se doutait qu'il ne serait pas capable de la même chose. Alors, même si le discours de son interlocuteur avait le don de l'irriter, il laissait son interlocuteur parler en essayant d'être le moins véhément et désagréable possible dans sa réponse. Il avait pu se permettre de se montrer plus tranchant avec Cherryl, parce qu'il la considérait comme une amie, mais alors qu'il se trouvait en présence d'un représentant de l'autorité, qui éventuellement pourrait enfin aboutir à démontrer de façon qui puisse être entendue l'existence de la sorcellerie, il avait tout intérêt à se montrer modéré et prudent. Autant que cela pouvait être possible, en tout cas.

-Je n'en parlerais pas si je n'y croyais pas, répondit Langdon. Il ne s'agirait de fables que si aucun événement ne venait corroborer l'existence de la sorcellerie, or je constate qu'ils sont de plus en plus nombreux, et l'attaque qu'ont subie les Barebone en fait partie. Il marqua une légère pause. Mais je ne m'évertuerai pas à vous convaincre, ajouta-t-il d'un ton las. Je suppose que vous ferez comme le reste de vos collègues et vous contenterez de rejeter en bloc la moindre suggestion.

C'était ce qu'il faisait déjà en parlant de "fables" et d'"histoire", il n'essayait même pas d'accorder un semblant de crédit à ses hypothèses. Non, il décidait de suite, d'entrée de jeu, que son discours ne méritait pas d'être entendu et que ses propos étaient forcément affabulatoires. A partir de là, il n'y avait rien à attendre.

   

code by Mandy

   

L

angdon ne voulait même pas entendre la réponse de son interlocuteur, parce qu'il était convaincu qu'elle ne différerait absolument pas de tout ce qu'il avait déjà entendu de la part de tous ceux qu'il avait cherché à convaincre du bien-fondé de ses convictions. Bien sûr, il pouvait comprendre qu'admettre l'existence de la sorcellerie était chose difficile. Lui aussi était d'ores et déjà passé par là, et pendant une longue période de sa vie, il avait été tout à fait rationnel dans sa manière de penser et de voir les choses. Mais ça, c'était évidemment avant. Depuis, les preuves s'étaient accumulées tant et tant qu'il ne voyait pas comment l'on pouvait rester aveugles aux faits. Au bout d'un moment, il fallait admettre ce qui était.

Finalement, il fut surpris d'entendre son interlocuteur lui confirmer que, oui, les événements ne trouvaient pas d'explications rationnelles. Eh bien, ça c'était une première ! Et ça, c'était parce qu'il fallait accepter que la magie était une chose rationnelle, un point c'est tout. Il était prêt à entendre ce qu'il avait à dire, sauf que c'était toujours la même chose, il fallait des preuves, et ces preuves bien concrètes, qui levaient le moindre doute, si elles existaient et étaient si facilement accessibles, seraient clairement déjà diffusées à grande échelle dans la presse.

-C'est ce que je me tue à faire constamment, trouver des preuves tangibles, répondit-il d'un ton qui ne dissimulait rien de sa frustration. Si j'en avais, elles feraient déjà la une des journaux. Je n'ai pas la possibilité ni les moyens de pousser plus loin mes investigations puisqu'on met à mal la moindre de mes tentatives. Quelqu'un ne veut pas que la vérité éclate, et j'en ai plus qu'assez de me battre contre une force qui me dépassent.

Il savait qu'il devait passer pour un complotiste de bas étage, mais en même temps, il était las, et il ne savait plus du tout quoi faire, en cet instant, il avait trop lutté, et au bout d'un moment, ça devenait purement et simplement impossible.

-Si mon témoignage concernant la mort de mon frère n'ont pas été jugées comme des preuves suffisantes, je vois difficilement ce que je pourrais vous fournir de mieux. Il serait peut-être temps que vous cherchiez vous-mêmes vos propres preuves.

D'accord, il commençait à se montrer particulièrement injuste, maois c'était tout bonnement plus fort que lui, cette situation l'avait épuisé, dans les grandes largeurs, et même s'il ne voulait cesser de se battre, il ne comptait pas le faire en présence de personnes qui seraient tout à fait incapables de comprendre sa manière de faire, de penser et d'agir. Il n'avait plus foi dans les autorités présumément compétentes.


   

code by Mandy