Il existe deux sortes de cécité sur cette terre : les aveugles de la vue et les aveugles de la vie | Mary Lou & Henry

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epuis le saccage de l'église (qui n'était qu'un avant-goût de ce qui l'attendrait bientôt, mais cela - et c'était heureux, Mary Lou n'en avait pas encore conscience), la chef de file de la ligue des fidèles de Salem était encore plus déterminée (si cela pouvait réellement être possible) à imposer ses idées et à faire valoir ses opinions. A l'heure où on tentait de la faire taire, la jeune femme estimait qu'elle n'avait que davantage d'intérêt à lever la voix haut et clair, n'en déplaise à ses détracteurs. Elle le savait, elle prenait des risques, mais si elle ne le faisait pas, qui le ferait ? Aveugle et fanatique, convaincue de faire ce qui était non seulement juste et nécessaire, elle ne reconnaitrait certainement jamais que sa hargne, sa rage de vaincre, faisait d'avantage de mal que de bien autour d'elle, y compris au sein de son propre foyer, et elle n'avait guère l'intention de s'arrêter, doonc, raison pour laquelle elle arpentait à l'heure actuelle les rues de Manhattan.

Son intention n'avait pas été de rencontrer Mr Shaw, pas tout de suite, du moins. Son premier contact avec lui avait été un échec, et quand bien même elle savait qu'il serait nécessaire de réitérer (ce en quoi elle avait supposé tout d'abord que sa proximité avec Langdon serait une bonne chose, mais elle considérait dorénavant que c'était davantage un frein, quand bien même elle ne comptait pas flouer le jeune homme pour autant - les partisans à sa cause étaient trop rares pour se passer des services des plus fervents d'entre eux), elle ne comptait pas appliquer de suite les judicieux conseils qui lui étaient prodigués, notamment par Ethan, envers qui elle commettait l'erreur de nourrir une confiance sincère.

Oui, elle ne pouvait pas s'épargner les services (et surtout le soutien financier) d'un mécène, elle en avait bien conscience, mais pour l'heure, le patron de presse ne saurait plaider en sa faveur en dépit de sa bonne foi. Alors soit, Manhattan était un centre d'affaires réputé, et elle avait forcé la main de quelque assistants de direction pour obtenir l'un ou l'autre rendez-vous, et elle revenait présentement de l'un d'entre eux, qui s'était soldé par un échec. C'était le hasard qui voulait que Mary Lou croise Henry Shaw dans ces rues. Mais pour la peine, elle comptait bien évidemment en tirer le meilleur parti.

-Je crains fort ne pas être la plus perdue d'entre nous, répondit-elle avec une amabilité feinte en réponse au propos de son interlocuteur. Vous ne les accepterez sans doute pas, mais sachez que toutes mes condoléances vous accompagnent, je n'ose imaginer combien il doit être douloureux de perdre un fils.

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u moins le patron de presse ne l'envoyait-il pas directement sur les roses et acceptait d'entendre ses condoléances. Cela ne signifiait pas que la suite serait plus simple, et elle savait pertinemment qu'elle marchait sur des oeufs, d'autant plus que blesser un coeur en deuil était le pire qu'elle puisse faire. Là, elle serait sûre et certaine de ne rien obtenir du tout de sa part. Mais faire preuve du minimum de considération requis était tout de même de mise, et elle hocha la tête avec gravité. Au fond, elle ne pouvait sans doute pas se mettre à la place de son interlocuteur. Oui, elle ne voudrait pas perdre Chastity ou Modesty... et même Credence, dans une certaine mesure, évidemment... mais elle éprouverait, surtout dans le dernier cas, plus de contrariété que de douleur, sans doute.

A dire vrai, elle ne savait pas réellement de quelle manière elle réagirait à la mort de l'un de ses enfants, mais il était tout de même certain que c'était une épreuve qu'aucun parent ne devrait jamais être contraint d'endurer. Ce qui était arrivé à Henry Shaw Jr était une injustice, une infamie. Et c'était justement parce que c'en étaient que Mary Lou estimait que Henry Shaw pourrait finir par accepter de se rallier à sa cause. Parce que justement, c'était une pure injustice, ce qui n'était tout simplement pas tolérable. Maintenant, il fallait trouver un angle d'approche convenable, et Mary Lou avait fait son choix. Peut-être que cela allait déplaire, mais peu importe, il fallait qu'elle tente le tout pour le coup. Quand une opportunité se présentait, il ne fallait pas passer à côté, un point c'est tout.

-Est-ce que vous savez si... les personnes responsables ont été arrêtées ?

Ce n'était pas la manière la plus subtile de s'y prendre, mais c'était une façon comme une autre d'engager le sujet quant à ce qu'il s'était réellement passé le soir où Henry Shaw Jr. avait été assassinée (parce qu'en ce qui la concernait, la thèse de l'assassinat n'était pas juste une hypothèse, c'était une pure certitude). Reconnaître qu'il y avait bel et bien un coupable à incriminer, c'était déjà faire une partie du chemin. Et en attendant, elle pouvait prétendre à un quelconque souci de justice sans plus de présupposé.

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entendre la réponse de son interlocuteur, Mary Lou songea qu'elle avait très certainement adopté le meilleur angle d'approche possible en la circonstance, et c'était une excellente chose. Elle savait pertinemment, en cet instant, qu'elle marchait sur des oeufs. Elle ne devait surtout pas braquer son interlocuteur, et pour ce faire, elle avait tout intérêt à ne pas mettre trop précipitamment sur le tapis le sujet qui l'intéressait réellement. Ceci dit, si elle pouvait amener son interlocuteur à l'amener de lui-même sur le terrain qui l'intéressait, elle pourrait bien parvenir à ouvrir les yeux de cet homme.

Certes, jouer sur la corde sensible en profitant de la douleur d'un père qui venait de perdre son fils, ce n'était pas très fair play, mais après tout, accepter de voir la vérité en face ne pourrait que faire du bien à cet homme, sur le long terme en tout cas... S'il pouvait réussir à comprendre qu'en s'associant à sa cause, il pourrait également s'en prendre aux hommes qui avaient fomenté l'assassinat de son fils et obtenir la justice qu'il devait tant désirer, alors il comprendrait que dans cette affaire, il n'y aurait aucun perdant. Ceci dit, ce n'était pas encore gagné, loin s'en faut.

Ce ne fut pas une surprise pour Mary Lou que d'entendre que les criminels responsables du décès de Henry Shaw Jr. n'avaient pas été interpellés. Ils ne pouvaient pas l'être tant que les faits bruts n'auraient pas été reconnus comme tels. Et Mary Lou, dans tous les cas, se tenait bien assez au courant, ne serait-ce que par l'intermédiaire de Langdon, pour savoir que personne n'avait été incriminé dans cette affaire, pas même un homme de paille que les sorciers auraient placé avantageusement là pour s'épargner la révélation de leur existence... et de leurs nombreux crimes (car pour Mary Lou, il ne faisait aucun doute que le cas du jeune sénateur n'était pas isolé, loin de là).

-Je regrette, répondit-elle d'un ton sincère... et pour cause, elle ne prononçait pas ces mots dans le (seul) but de le manipuler, elle pensait réellement ce qu'elle disait. Elle regrettait honnêtement la situation présente. Je souhaiterais vous aider dans vos recherches, ajouta-t-elle très sincèrement. Une main tendue qu'il lui refuserait très probablement, mais elle ne voyait pas de mal à tenter le coup malgré tout.

Qui ne tente rien n'a rien, elle n'avait eu que de trop nombreuses occasions de voir se confirmer cette maxime.

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ary Lou se doutait bien du fait que sa proposition ne serait pas prise au sérieux par son interlocuteur, tout comme il peinait manifestement à prendre au sérieux quoi que ce soit venant d'elle. Mais elle décidait de ne pas en prendre ombrage. C'est ce que l'on apprend à force d'expérience : elle pouvait forcer le destin, mais elle ne pouvait pas inscrire directement les pensées qui l'arrangeaient dans l'esprit d'autrui, quand bien même elles étaient le reflet de la plus pure réalité. Il est certain qu'elle ne devait pas donner le sentiment de savoir ce qu'elle faisait.

Aux yeux d'Henry Shaw, elle était une parvenue et une cinglée, alors il n'allait certainement pas lui accorder le crédit qu'elle méritait. Quoi qu'il en soit, cela ne changeait rien à ses intentions. Oui, elle pensait pouvoir déterminer l'identité de celui, celle ou ceux qui avai(en)t assassiné le fils du patron de presse. Elle en avait l'intime conviction, et était d'autant plus certaine d'être à même de tenir ce rôle que tous les autres regardaient, certes, mais pas dans la bonne direction, c'était à craindre. A part sans doute Langdon... Mais si on la qualifiait, elle, de folle, elle estimait que Langdon, de son côté, était bien davantage un cas désespéré, ce même s'il ne le devait qu'au fait d'avoir pu voir la vérité en face... et de n'avoir pas détourné les yeux malgré tout.

-Vous seriez surpris, je crois, de savoir quelles ressources sont à ma disposition. Elle marqua une légère pause. Je n'attends rien de votre part, précisa-t-elle ensuite. Ce qui n'était pas tout à fait vrai. Au contraire, si elle insistait et avait cherché à le revoir, c'est qu'elle continuait de penser qu'il était la clé à ses problèmes. De sa part, elle attendait qu'il accepte la vérité et la répande à grande échelle. Et de sa part, aussi, à ce jour, elle escomptait des ressources financières dont les fidèles de Salem avaient plus que cruellement besoin. Mais elle ne pouvait pas se permettre de l'exprimer en ces termes... ou pas encore, tout du moins. Sachez seulement que je vous apporterai mon soutien et mon aide, que vous les acceptiez ou non.

Puisqu'un jour ou l'autre, il la remercierait forcément. Il admettrait qu'elle avait eu raison.

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ary Lou ne fut pas vraiment étonnée d'entendre son interlocuteur remettre en question les éventuelles ressources dont elle pourrait bien disposer pour lui venir en aide. Elle n'avait pas attendu cette conversation pour savoir avec elle condescendance le patron de presse la considérait, elle ainsi que la cause qu'elle défendait, mais elle refusait de s'en inquiéter pour autant... tout comme elle choisissait de ne pas lui en tenir rigueur. Ce n'était pas chose aisée que d'accuser le mépris et le dédain d'autrui, mais c'était tout de même toujours plus simple quand l'on était convaincu d'avoir raison.

Quoi qu'il puisse advenir, Mary Lou ne se remettait pas un seul instant en question, ne l'envisageait pas ne serait-ce qu'une seconde, et il était plus facile d'encaisser les réflexions hautaines ou déplaisantes quand elle savait que ces dernières lui vaudraient des excuses un jour ou l'autre. Et le plus tôt serait le mieux, bien sûr. Seulement, ils n'en étaient pas encore là. De toute évidence, Henry Shaw avait encore beaucoup de chemin à parcourir avant d'opérer une véritable prise de conscience... Mary Lou était prête à attendre. Elle n'était pas plus patiente que n'importe qui, mais il avait bien fallu qu'elle apprenne à l'être ne serait-ce qu'un tant soit peu. Elle n'avait tout simplement pas eu le choix au bout du compte.

-Je ne parle évidemment pas de ressources financières, répondit-elle alors dans un très fin sourire. Car elle se doutait que le terme "ressources" devait dans son vocabulaire revêtir une forme presqu'instinctivement pécuniaire. Sur ce point, je sais parfaitement que je n'ai rien à vous apporter. L'inverse, en revanche... Mais ce n'était pas le moment d'en parler, même si elle faisait au mieux pour poser doucement ses jalons. Au moins, il avait la confirmation, si vraiment elle était nécessaire, de la pauvreté de ses finances. Qu'il pourrait aisément combler pour peu qu'il daigne vouloir se joindre à leur cause. Mais j'ai des contacts, dans des milieux que, je pense, vous n'êtes pas habitués à côtoyer, et qui pourraient vous éclairer sans doute quant aux malheureuses circonstances qui vont on privé d'un fils.

Bien sûr, il ne s'agissait pas non plus de remuer le couteau dans la plaie, mais il fallait bien en parler comme c'était, après tout.

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ary Lou savait que convaincre son interlocuteur ne serait pas une tâche aisée, loin s'en faut, mais il fallait qu'elle y parvienne. C'était important, beaucoup trop important. Elle aimerait pouvoir lui parler des faits bruts, avec l'assurance que son interlocuteur la croirait, cette fois, puisque ce n'était jamais que la vérité. Mais à quoi bon s'exprimer de la sorte quand elle savait pertinemment que la patron de presse n'y entendrait rien. Elle avait connu des esprits coriaces et réfractaires à ses idéaux, mais Henry Shaw était parmis les plus persistants qu'elle connaissait...

Peut-être parce qu'avec lui, elle se sentait la nécessité d'insister, ce qu'elle ne faisait avec personne d'autre, parce qu'elle avait autant conscience de ce qu'il pouvait apporter aux fidèles de Salem d'un point de vue financier que d'un point de vue général, si tant est qu'il accepte de relayer l'information dans la presse. Mais si Henry Shaw n'était pas parvenu à se laisser convaincre par son propre fils, l'illuminée qu'il l'imaginait être n'aurait sans doute pas plus d'impact sur lui. Mais il fallait essayer, brasser large, chercher toutes les options possibles.

-Comme vous vous en doutez, mon association brasse une très large audience, qui concerne toutes les branches de notre société. Certaines moins recommandables que les autres, je dois le reconnaître, mais il n'est personne que je puisse juger indigne de s'exempter de l'obscurantisme ambiant.

Bon, elle en rajoutait un peu, c'est certain, mais elle faisait du mieux qu'elle pouvait, et si il devait sur le moment lui refuser toutes les faveurs qu'elle attendait de lui, elle parviendrait, d'une manière ou d'une autre, à rassembler les preuves dont il avait besoin et à lui faire effectivement entendre raison, quels que puissent être les moyens qu'il lui faudrait employer.

-Ils seront capables de retrouver l'assassin de votre fils, d'obtenir réparation. Elle marqua une légère pause. Croyez-moi, je prends cette affaire très à coeur. Je sais combien elle affecte votre fils, et je le regrette profondément.

A un moment ou à un autre, il allait bien falloir aborder le sujet de Langdon et Mary Lou choisissait d'être la première à le faire.;

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homme demeurait manifestement insensible à son discours. Tenter de lui faire entendre raison, c’était comme s’égosiller à parler à un sourd : ça ne pouvait mener nulle part, et c’était vraiment dommage. Si Mary Lou ne veillait pas avant tout à ses propres intérêts – qui étaient également ceux des fidèles de Salem -, elle pourrait prendre en pitié cet homme qui n’avait pas conscience de la vérité, qui fermait les yeux et les oreilles à tous les indices disséminés autour de lui, qui préférait ne pas croire sa chair et son sang plutôt que d’envisager de réviser son discours. Mais au-delà de la pitié, c’était surtout de la frustration que lui inspirait cette conversation.

Elle s’était doutée, bien sûr, que ce ne serait pas simple, et que ses chances de convaincre son interlocuteur seraient minimes, mais elle était tout de même allée l’aborder dans des dispositions conquérantes… et il était à présent certain qu’elle ne faisait qu’essuyer un nouvel échec. Qui risquait de lui coûter cher celui-là, parce que, même si d’aucuns disent jamais deux sans trois, Mary Lou ne se voyait pas retenter un troisième assaut. Ou pas avant longtemps. Il allait falloir placer le patron de presse face aux évidences, c’est tout, ils n’auraient pas d’autre choix. C’était jouable, c’était même inévitable, mais Mary Lou redoutait qu’il prenne conscience de la réalité beaucoup trop tard, quand tout le monde saurait, quand il n’y aurait plus rien à faire parce que tous auraient ignoré ses avertissement. A croire qu’ils n’admettraient tous qu’elle ne criait pas au loup sans raison que quand ils se seraient tous fait dévorer. Ah, la nature humaine !

-Votre fils est un garçon intelligent, répliqua Mary Lou en soutenant le regard de son interlocuteur quand ce dernier évoqua Langdon. Bien sûr, c’était inévitable, à un moment ou à un autre, le jeune Shaw devait bien arriver au cœur de la conversation. Il n’a eu besoin de personne pour accepter la réalité telle qu’elle est. Et il est libre de faire ce qu’il veut, il n’est obligé à rien du tout.

Mais Mary Lou savait que Langdon était entièrement loyal et dévoué aux fidèles de Salem, et elle n’hésitait pas à en jouer. Elle considérait néanmoins qu’elle n’avait pas lavé le cerveau de Langdon et que ce dernier avait tout simplement tiré ses propres conclusions des éléments à sa disposition. Et oui, cette conclusion profitait à Mrs Barebone. Ce sont des choses qui arrivent.

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ary Lou serrait les dents tandis qu'elle faisait au mieux pour écouter stoïquement les propos de son interlocuteur sans exploser. Elle était comme un volcan. En public, elle ne haussait le ton que pour se faire entendre de la foule, ou pour apater le chaland, elle ne s'emportait jamais, et garder toujours ses pensées négatives pour elle, il n'y avait qu'en présence de ses "enfants" qu'elle se défoulait et dévoilait son vrai visage. Elle n'avait pas la moindre envie de perdre le contrôle, pas en présence de Henry Shaw, ce serait lui donner du grain à moudre et elle n'en avait pas la moindre intention, de toute évidence.

Si l'un des deux devait s'emporter, il était impératif que ce ne soit pas elle. Ceci dit, l'homme ne lui rendait pas du tout la tâche facile, loin s'en faut, car le moindre de ses propos lui donner la sérieuse envie de sortir de ses gonds et de le remettre violemment à sa place. C'était d'autant plus tentant qu'elle croyait de moins en moins en la perspective de faire de Henry Shaw le mécène tant escompté. Il faudrait trouver un autre patron de presse, un autre milliardaire à amadouer. Ils étaient à New York, la perspective n'était pas impossible, après tout. Tant pis pour l'atout que Langdon aurait pu représenter pour eux, c'était plutôt une balle qu'ils se tiraient en plein pied, car manifestement, l'homme restait convaincue que Mary Lou le manipulait. Et elle ne voyait pas du tout les choses sous cet angle. Elle, de son côté, estimait plutôt qu'elle avait ouvert les yeux de son fils.

Le père, en revanche, était diablement aveugle, et de mauvaise foi, par ailleurs, aux yeux de Mary Lou. Il lui reprochait l'éducation qu'elle donnait à ses enfants, vraiment ? Est-ce qu'il était bien placé pour en parler, lui ? Un fils mort et l'autre dépressif, eux non plus ne transpiraient pas la joie de vivre, de toute évidence.

-Au moins, je lui accorde de l'attention, répliqua Mary Lou sans se démonter. De ce qu'il me dit de vous, vous êtes loin de pouvoir en dire autant.

Si elle ne devait plus l'amadouer, alors elle n'aurait aucun scrupule à le blesser, et elle supposait que si l'homme devait avoir un talon d'Achille, ce dernier devait s'appeler Langdon.

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ary Lou ne se sentait absolument pas heurtée par les propos de son interlocuteur, et pour cause, elle était convaincue que la réplique de ce dernier n'était pas si sincèrement prononcée que cela. Si vraiment, Henry Shaw estimait que son interlocutrice n'avait pas la moindre influence sur son fils, alors pourquoi s'inquiétait-il de la voir mettre des idées selon lui absurdes dans la tête de Langdon ?

Qu'il le veuille ou non, à l'heure actuelle, c'était elle que le jeune homme décidait d'écouter, et elle comprenait que ça ne lui plaise pas. Dans l'idéal, elle voudrait qu'il imagine que oui, elle avait de l'influence sur Langdon, mais une bonne influence, tout du moins. Si elle ne pouvait pas compter sur le soutien de Mr Shaw, eh bien tant pis, mais quoi qu'il en soit, elle ne se faisait aucune inquiétude concernant Langdon, il était totalement investi à sa cause.

Il rejoignait les fidèles de Salem tous les jours, il répandait leur parole auprès de quiconque voulait (ou ne voulait pas d'ailleurs) l'entendre, et elle n'avait rien eu besoin de forcer, qui plus est, il le faisait de son propre chef, de son propre gré, soucieux de venger un frère dont il était seul à croire aux circonstances surnaturelles de son décès.

-Je n'ai rien prétendu, répondit calmement Mary Lou dans un fin sourire. Je vous l'ai dit, Langdon est libre de faire ce qu'il veut, je n'ai aucune influence sur lui. C'est vous qui vous obstinez à penser le contraire, et à croire que je cherche à lui mettre des idées qui vous déplaisent dans la tête.

Ceci dit, il avait raison, et entièrement raison, sur un point : oui, Mary Lou cherchait bel et bien à avoir une influence sincère sur le jeune étudiant en journalisme, comme elle cherchait à avoir de l'influence sur quiconque était susceptible de s'intéresser à sa cause, puisqu'elle ne se contentait pas de chercher des auditeurs, elle voulait trouver des partisans.

Et c'était vrai qu'elle pensait avoir une grande influence sur Langdon, et pour cause, il le lui prouvait un peu plus chaque jour. Et pour cause, elle le voyait tous les jours ou presque, justement, elle doutait fort que son interlocuteur puisse en dire autant. Si Henry n'avait jamais eu le loisir d'entendre parler d'elle (ce dont elle doutait), c'était peut-être uniquement parce que Langdon et lui ne parlaient jamais, non ?


   

   

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ette conversation n'avait certes pas l'effet que Mary Lou avait escompté, mais elle gardait tout de même un mérite certain, et c'était celui de convaincre la cheffe de file de fidèles de Salem de son incompatibilité totale d'opinion avec son interlocuteur. Elle ne voulait pas se borner à vie à obtenir le soutien (moral et financier) du patron de presse. Elle ne renonçait pas à l'idée de trouver un mécène à son organisation, mais ils n'avaient pas impérieusement besoin de lui non plus, ils pouvaient tout à fait se débrouiller d'une autre façon pour parvenir à leurs fins. Ils avaient plus d'un tour dans leur sac quoi qu'il en soit.

Alors la seule chose que cherchait Mary Lou, c'était de répandre la vérité, si son interlocuteur n'était pas en mesure de le comprendre, c'était son problème, elle ne s'obstinerait plus à le convaincre. Elle savait reconnaître quand une cause était perdue, et celle-ci ne méritait pas qu'elle se batte plus longuement. Henry Shaw finirait bien par prendre conscience de la réalité, et quand ce serait le cas, elle espérait que ses regrets seraient à la hauteur de l'affront qu'il lui faisait en cet instant. Mais elle n'en doutait pas réellement en réalité.

-Pour vous tout est une affaire d'ego, n'est-ce pas ? répliqua-t-elle en balayant d'un revers de manche ses dernières remarques.

Elle n'aimait clairement pas que son interlocuteur se permette d'évoquer ses enfants de cette manière, mais elle préférait ne pas réagir plutôt que de mal réagir et donner du grain à moudre à son interlocutrice. Parfois, l'ignorance était le meilleur et le plus sage des mépris. Si elle ne comptait clairement pas tourner les talons sans rien dire, elle n'avait quoi qu'il en soit aucune envie de fournir à son interlocuteur un prétexte de croire qu'il était parvenu à l'atteindre. A plus forte raison que c'était sans doute un peu le cas au bout du compte. Mais dans tous les cas, inutile de s'évertuer, ses convictions restaient les plus fortes, pour elle, il n'était pas question de secte, juste de la survie d'une catégorie d'humains qui, s'ils refusaient de se battre, se laisseraient consumer.

-Ceux qui ont pris conscience de la réalité ne sauraient revenir en arrière, ils savent le danger qui nous guette et c'est tout ce qui importe. J'espère pour vous que vous en prendrez également conscience avant qu'il ne soit trop tard.

   

   

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i le patron de presse comptait réellement heurter ses sentiments ou la déstabiliser en s'exprimant de la sorte, alors il n'avait définitivement pas employé la meilleure méthodes... encore qu'il se contentait sans doute seulement d'exprimer le fond de sa pensée... ce qui laissait Mary Lou de marbre. Cette dernière était dans tous les cas d'un naturel particulièrement insensible, mais il est certain que si elle avait dû s'émouvoir à chaque fois qu'on l'avait taxée de folle, ce ne serait pas à l'asile qu'elle aurait fini, mais en dépression très certainement.

Quoi qu'il en soit, elle se moquait bien qu'on la qualifie de folle, puisqu'elle savait qu'elle détenait la vérité. Ceux qui la croyaient bonnes pour l'asile le regretteraient amèrement le jour où ils ne pourraient pljus se contenter de leurs oeillères. Restait à espérer qu'à ce moment-là, ce ne serait pas trop tard pour eux... encore qu'au moins, Mary Lou, ce jour-là, aurait la satisfaction de pouvoir leur faire remarquer qu'elle les avait prévenus.

Elle n'était pas un danger pour la société, non. Mary Lou (pas du tout mégalomane) se considèrerait plutôt comme un prophète. Elle répandait la bonne parole, la parole juste. Ceux qui acceptaient de l'entendre pouvaient espérer affronter la menace qui pesait sur eux tous, les autres, eh bien... il était possible qu'ils soient condamnés, et pour de bon. Si Henry Shaw devait ne jamais entendre raison concernant cette situation - et il semblerait que ce soit le cas - Mary Lou devait bien admettre qu'elle ressentirait une certaine satisfaction à le voir sombrer plus bas que terre à ce moment-là.

-Et quelle opportunité est-ce que je tire de cette situation ? rétorqua Mary Lou d'un ton sévère, n'aimant pas être prise pour ce qu'elle n'était pas... ou estimait ne pas être. Car à ses yeux, elle ne manipulait pas les foules ou les fidèles qui se joignaient à sa cause, elle croyait sincèrement en cette cause. Je ne demande rien à ceux qui nous rejoignent, aucune compensation d'aucune sorte, ni financière ni quoi que ce soit d'autre. Mon seul but, c'est d'aviser le plus de personnes possible. Mais je ne m'attends plus à ce que vous y entendiez quoi que ce soit.



   

   

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voir des gens sous son joug, était-ce réellement la seule chose qui motivait Mary Lou ? En toute bonne foi, cette dernière répondrait que non. Elle ne trouvait pas de satisfaction particulière à être suivie, elle en trouvait en revanche à être entendue, ce qui à ses yeux n'était pas du tout la même chose. Bien sûr, comme n'importe qui, elle appréciait que l'on se soumette à son opinion et à ses décisions, mais elle n'envisageait pas que ce soit cela qui motive vraiment ses actions et ses propos.

Le sentiment de puissance qu'elle ressentait quand elle battait ses enfants, par exemple (exemple au hasard, juste comme ça), lui venait plus de la compensation d'une frustration réelle, d'une haine sincière et manifeste. Dans tous les cas, et quoi qu'en pense son interlocuteur, ça ne changeait absolument rien à ce qu'en pensait Mary Lou. Elle pensait agir pour une cause juste, et elle laisserait porter sa voix tant que cette voix voudrait bien se laisser entendre. Ou jusqu'à ce qu'on lui coupe pour de bon la parole, mais, ça n'avait pas l'air bien efficace, en fin de compte.

Et en effet, ce serait mentir que de prétendre qu'elle n'attendait rien de ses "fidèles", elle comptait sur eux pour répandre la "bonne parole", elle tenait à ce qu'ils se montrent actifs dans la cause où ils s'étaient engagés, et c'était déjà beaucoup. Mais ce n'était pas le genre de débat dans lequel elle envisageait qu'il soit de bon ton de s'engager avec son interlocuteur. Elle avait le net sentiment qu'il n'y entendrait rien. Dans tous les cas, elle estimait qu'il n'entendait rien à rien. Et il lui faisait définitivement perdre son temps, sans aucun doute possible.

-Si vous n'êtes pas capable d'envisager que l'on puisse sincèrement faire acte de compassion et d'empathie, je ne m'étonne pas que vous soyez si insensible à ce qui vous entoure.

Elle n'allait pas lui donner raison, par-dessus le marché. Quand bien même il avait raison, bien entendu. Si elle l'avait abordé en premier lieu, c'est qu'elle pensait réellement qu'elle pourrait réussir à le convaincre de la soutenir, financièrement et médiatiquement. Mais si cette conversation devait avoir servi à quelque chose, c'était au moins à lui faire tirer un trait définitif sur cette possibilité.
   

   

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