On est toujours le monstre de quelqu'un. (Nagini)

I

ls étaient partis sans rien. Pas la moindre économie, pas la moindre solution de replis... Quelque part, Nagini se disait que ce devait être ça, la liberté la plus totale, celle qui ne vous attache à plus rien de matériel. Quand on ne possède rien, on n'a rien à perdre, pas vrai ? Sauf que ce n'était pas complètement vrai non plus ? Elle pouvait encore tout perdre. Elle pouvait perdre sa liberté fièrement acquise si Skender devait remettre la main sur elle, elle pouvait perdre toutes ses perspectives le jour où elle se transformerait, cette fois pour de bon, en ce serpent monstrueux qu'elle ne cesserait d'être alors... Elle pouvait perdre Credence, surtout, et cette pensée la terrorisait plus encore que toutes les autres. Oui, ils n'avaient rien et peur de tout perdre malgré tout. Les menaces étaient nombreuses et émergeaient de toute part : Credence était à la fois recherché par Grindelwald et ses hommes et par les gens du MACUSA, et Nagini savait que ceux du cirque Arcanus étaient encore à sa poursuite... C'était comme si le temps leur était compté, et dans l'attente, l'incertitude seule leur tenait compagnie, car malgré leurs efforts, ils n'avaient pas réussi, pour le moment, à répondre à ces nombreuses questions que se posait Credence : celles dont les réponses devaient l'aider à faire la lumière sur ses origines une bonne fois pour toutes.

Ces pensées inquiétaient Nagini, constamment, qui ne trouvait, contradictoirement, du réconfort et de l'apaisement que dans la présence de celui pour qui elle s'inquiétait tant, pourtant. Mais c'étaient des considérations bien plus prosaïques qui l'avaient poussée à sortir de sa tanière à l'heure actuelle. Credence et elle avaient trouvé refuge dans une ancienne usine délabrée, qui avait semble-t-il cessé de fonctionner depuis plusieurs années. Il y faisait terriblement froid, un vent glacial s'y insinuait de partout, mais ils avaient un toit sur la tête et étaient à peu près à l'abri, c'était finalement tout ce qui comptait. Et c'était là qu'elle avait laissé son ami pour leur dénicher à manger. Elle détestait le laisser seule, d'ailleurs, Credence et elle avaient plutôt tendance à tout faire ensemble, absolument tout, constamment. Mais elle savait aussi que le jeune homme était à présent plus exposé que jamais, bien plus qu'elle. Mieux valait prendre un minimum de risques, par conséquent...

Elle était parvenu à leur dérober sur le marché quelques vivres qui devraient les aider à tenir quelques jours. Elle s'apprêtait à retrouver son ami quand elle entendit une voix l'interpeller. Son sang ne fit qu'un tour jusqu'à ce qu'elle reconnaisse Jamie, alors son inquiétude s'apaisa, au moins un peu. Jamie était à peu près la seule personne qui avait su lui inspirer confiance.

-Je... Je dois partir, dit-elle, incapable de savoir comment réagir à cette rencontre.

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N

lagini n'avait pas vraiment envie de partir sans donner aucune forme d'explication à son interlocuteur. Si quelqu'un en méritait, c'était bien lui, mais elle ne se voyait pas faire autrement. Elle appréciait sincèrement Jamie, elle lui était reconnaissante pour les longues conversations qu'ils avaient pu avoir et pour le sentiment qu'il lui avait toujours donné de valoir plus que ce que des personnes comme Skender, qui ne songeaient qu'à l'exploiter, qui ne voyaient en elle qu'une anomalie, observaient chez elle, mais lez moment était malvenu, l'endroit aussi. En fait, il n'y aurait plus d'endroit ou de moments bienvenus. Pas dans les circonstances actuelles. Elle subissait une pression constante en dépit des liens dont elle s'était libérée, et elle ne voulait surtout pas mêler Jamie à tout cela. D'autant que ce dernier avait certainement déjà fort à faire avec ses propres problèmes sans avoir à se soucier des siens. Seulement, à l'évidence, peu importe ce qu'elle en pensait, ce n'était certainement pas ce qui allait changer l'intention de son interlocuteur d'obtenir le fin mot de l'histoire.

Elle l'entendait dans sa voix et dans ses propos : il était surpris. Rien de plus normal. C'était le dernier endroit où il devait s'attendre à la trouver. N'importe qui d'un tant soit peu sensé, à sa place, aurait pris la fuite le plus loin possible, à distance de son bourreau, et pourtant, Nagini était toujours là. Elle espérait bien ne plus rester très longtemps mais elle n'avait aucune garantie à ce sujet : tout dépendrait de Credence et de ce qu'il serait capable de découvrir sur ses origines. En attendant, elle, elle l'accompagnait, et des rencontres comme celle-ci lui rappelaient qu'elle ne se montrait pas suffisamment prudente, moins qu'elle ne le devrait, en tout cas. La maledictus avait bien conscience du fait que Jamie ne lui voulait aucun mal, tout au contraire, mais elle aurait pu tomber, à contrario, sur quelqu'un de bien plus malveillant, qui aurait immédiatement transmis son signalement au maître loyal du cirque Arcanus. Elle n'était pas à l'abri, et cela faisait qu'elle se sentait plus tendue que jamais. Malgré tout, elle prenait sur elle autant que possible. Même si elles devaient n'être que brèves et concises, elle voulait bien admettre qu'elle devait des explications à Jamie.

-Je ne peux pas partir, pas encore... J'ai... J'ai encore des choses à faire ici, et dès que ce sera fait, je partirai, mais pour le moment, je ne peux pas.

Elle se rendait bien compte que son discours était lacunaire, mais en dépit de la confiance qu'elle plaçait en son interlocuteur, elle ne se voyait pas lui parler de Credence, ce serait beaucoup trop dangereux.

-Je suis désolée, je ne peux vraiment pas t'en dire plus.

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N

lagini se sentit soulagée d'entendre son interlocuteur ne pas insister et accepter ses explications, ou plutôt son absence d'explications. Elle se doutait, bien sûr, que ce devait être assez insatisfaisant pour lui, ça l'était pour elle aussi, pour qui le secret était comme une seconde nature, une seconde peau, mais qu'elle n'appréciait pas spécialement pour autant, elle devait bien l'admettre. Elle savait néanmoins quelles étaient ses priorités, et même si elle avait toute confiance en Jamie, elle savait aussi que c'était là une promesse qu'elle n'était pas le moins du monde en droit de trahir quoi qu'il puisse advenir.

Elle hocha doucement la tête, soulagée qu'il ne lui en demande en effet pas davantage : c'était en effet ce qu'elle attendait, espérait de sa part, et elle se sentait rassurée qu'il soit capable de l'entendre, mais de manière générale, Jamie avait toujours été capable de la comprendre où beaucoup d'autres ne faisaient que présumer savoir... certes, il ne la comprendrait sans doute jamais aussi bien que Credence savait le faire, mais c'était malgré tout rassurant à ses yeux.

-Je ne sais pas trop..., répondit Nagini en prenant le temps de réfléchir, quand Jamie lui proposait son aide.

Elle n'avait pas l'intention de rejeter cette aide en bloc. Bien au contraire, même, elle en était sincèrement touchée, et elle n'avait pas envie de prendre cette attention à la légère. Cependant, elle n'était pas certaine qu'il y ait quoi que ce soit à faire. Elle n'imaginait pas que Jamie puisse, par exemple, détourner l'attention du MACUSA afin de leur permettre, à Credence et à elle, de mener leurs recherches comme bon leur semblait.

-C'est dangereux. Et c'est compliqué... Je sais, ce ne sont pas le genre de choses qui t'arrêtent, ajouta-t-elle comme pour réfuter d'office un argument qu'il serait, elle en était convaincue, plus que capable de lui opposer dans ces circonstances.

Oui, c'était dangereux autant que compliqué, mais Jamie vivait de ce qui était dangereux et compliqué parce que c'était la condition sine qua non de sa propre liberté. Malgré tout, c'était quelque chose d'n autre ordre, qui ne concernait pas vraiment sa cause, même si au fond, le danger qui pesait sur Credence reposait aussi sur la capacité de chacun d'y comprendre quoi que ce soit. Mais alors, Jamie se montra plus concret.

-Tu... tu pourrais vraiment nous avoir un logement ? de la nourriture ? demanda-t-elle alors qui ne pouvait certainement pas passer à côté de cette possibilité.

Ce faisant, elle n'avait même pas réalisé qu'elle avait prononcé le pronom "nous", trop accaparée par une éventualité qui pourrait bien les sauver, au moins sur un aspect, Credence et elle. Elle ne pouvait pas se permettre de rejeter un tel soutien.

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